Relocaliser pour redynamiser : la promesse de la monnaie locale
Abeille, Florain, Grain, Miel, Renoir ou encore Trèfle ? Non, ce ne sont pas les prénoms les plus originaux attribués en 2018 mais ceux de monnaies locales. À Lille, un projet en ce sens a vu le jour et pourrait faire le quotidien les bébés de 2019.
Alors que les nouveaux-nés du XXIe siècle ont grandi avec l’euro, symbole de la coopération européenne et de l’union économique – la monnaie qui voyait GRAND – ceux de 2019, apprendront que les petits pâtissent souvent de la sottise des grands…
Aujourd’hui, face à la mondialisation, aux super/méga/hypermarchés, au commerce en ligne, et à la désertification des commerces locaux, quarante-huit monnaies locales se sont implantées sur le territoire Français. Une monnaie destinée à n’être utilisée que dans une zone restreinte, allant d’un quartier à une métropole. Le but ? Promouvoir la culture régionale, réduire l’empreinte écologique des transports, et surtout permettre de relocaliser le commerce et l’emploi.
LE POINT CHIFFRÉ
Selon l’INSEE, depuis 1990, le nombre de petits commerces ne cesse de se réduire s’opposant aux grandes surfaces. En 2015, des villes comme Béziers (Hérault) affichent un pourcentage de commerces vides de 25% contre 9% en 2001. Un déclin préoccupant.
Une idée qui a séduit Nicolas Gantois, ingénieur thermicien. Fin 2015, il fonde un collectif : Monnaie Locale de Lille, dans l’espoir de créer une monnaie complémentaire au sein de la MEL. Une monnaie locale qui porte des valeurs comme le respect de l’environnement, une consommation éthique et dont le but premier est de soutenir les commerces indépendants. Un soutien nécessaire devant une réalité statistique : le nombre de petits commerces ne cesse de diminuer face à la concurrence des grandes surfaces.
Dans ce contexte, ce sont surtout les épiciers, libraires, fleuristes ou encore les bouchers qui, hormis par la qualité de leurs produits, ne peuvent plus rivaliser.
Les boulangeries sont les seules épargnées même si cela n’est dû qu’à l’appétence des Français pour les croissants au beurre du dimanche.
LE SAVIEZ-VOUS ?
L’excès de pain, oui, mais de bouquins, un peu moins !
Victimes majeures de l’e-commerce, les librairies de centre-ville disparaissent progressivement. Entre 2011 et 2015 ce sont 4 324 emplois qui ont été détruits dans le secteur du livre.
Dans ce cas, peut-on dire que le commerce en ligne contribue à enterrer les commerçants et leur boutique ? Sans doute.
Mais pour Jordan Fosset, commercial pour Par Ici cuisine – entreprise qui développe le circuit court – cela a surtout détérioré les liens sociaux :
A Paris, les commerciaux ont bien compris cette envie de retrouver à la fois de la convivialité mais aussi des produits frais sur des étales : « Dans les GMS (grandes et moyennes surfaces) on essaie de reproduire maintenant ce que l’on pourrait trouver dans un petit bourg : un fromager ou un boucher qui te sert », fait justement remarquer Jordan Fosset.
Aujourd’hui c’est la grande distribution qui se met à faire du petit commerce. Elle remplace les petites boutiques par des « magasins de proximité ». Ainsi à Paris, en 10 ans le nombre de ces supérettes de quartier a bondi de 111% selon une étude Bonial et Nielsen. On y trouve des produits frais de saison tout droit venus des champs des producteurs locaux, dont les DLC (Dates limites de consommations) sont réduites. Il n’y aurait donc pas une disparition du commerce de proximité mais bien une mutation.
Un problème survient toutefois : ces enseignes d’un nouveau genre se développent davantage dans les grandes villes et moins dans les milieux ruraux où elles sont encore rares. Ainsi, la monnaie locale serait réellement présentée comme une solution pour redynamiser le territoire.
Il y a maintenant 7 ans que la première monnaie complémentaire, l’Abeille, a été lancée à Villeneuve-sur-Lot en Lot-et-Garonne.
Son principal atout ? Elle exclut les principaux concurrents des petits commerces : les supermarchés. De quoi redonner le sourire aux commerçants, mais pour ça, les citoyens devront aussi s’appliquer à payer leurs achats auprès des membres du réseau Abeille. En 2016, selon l’association Agir pour le vivant, on dénombre 400 adhérents au réseau mais seulement 80 utilisateurs réguliers. L’élan de la mesure n’est effectivement pas qu’économique mais aussi citoyen. La monnaie locale serait donc une solution pour revitaliser les centres villes et jouerait un rôle dans la démocratie participative.
Une réelle dimension sociale et solidaire que les grandes surfaces ne peuvent, cette fois-ci, pas concurrencer ! Dans la mouvance d’un citoyen de plus en plus responsable, l’idée de consomm’acteur émerge peu à peu et tend à développer les solutions du commerce de demain.
Pauline Brault
ZOOM SUR...
La monnaie locale du pays Basque : l'eusko
Ah le Sud-Ouest…
Le soleil, le rugby et l’accent chantant… Si on vous dit, Pays Basque, vous pensez, Fêtes de Bayonne ? Et bien vous penserez dorénavant à l’eusko. Cette monnaie basque créée en 2013 est devenue en octobre dernier, la monnaie locale la plus utilisée en Europe.
En dépassant le million en circulation, la devise permet d’acheter presque n’importe quoi dans le pays du piment d’Espelette. Preuve que la monnaie locale est une alternative possible, on compte déjà 3000 particuliers, 770 entreprises et 158 communes adhérents à l’eusko.
La recette pour une monnaie locale qui fonctionne c’est : la promotion du commerce de proximité, la participation à la transition écologique et, dans ce cas précis, la préservation de la langue basque : l’euskara.
Explications. D’après le collectif Euskal Moneta – Monnaie locale du Pays Basque –, à l’initiative du projet, si vous favorisez le commerce local, vous réduisez les distances entre les fournisseurs et les distributeurs. Ainsi, vous permettez d’émettre moins de gaz à effet de serre. CQFD. Ajoutez à ça des commerçants qui vous parlent basque quand vous les payez en eusko, et vous participez à la promotion de la langue.
En adhérant à l’eusko, vous entrez alors dans un véritable réseau de fournisseurs, de commerçants, d’usagers, d’associations et autres. Au-delà d’une simple monnaie d’échange, l’eusko a en fait une dimension très sociale et se veut fédératrice. Avant de devenir autonome financièrement, il faudra encore du boulot mais le Basque est têtu et qui sait ce que les Sudistes vous réservent. L’eusko est un modèle d’espoir pour les monnaies locales.
Est-ce que Lille et la région Nord pourront en faire autant ? Nicolas Gantois, fondateur de la Monnaie Locale de Lille, vous en parle :
Fanny Narvarte