Les Universités Populaires : des universités de la vie
Posted On 21 décembre 2019
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Le micro circule, passe de mains en mains, parfois tremblantes ou au contraire sûres d’elles. Au fil de la discussion, les visages semblent moins fermés et les voix se délient. Créées en 1972 par l’association ATD Quart Monde, les Universités Populaires sont des moments uniques, durant lesquelles les personnes en situation de grande pauvreté s’ouvrent les unes aux autres, partagent des expériences, des points de vue et des manières de vivre. Venus de Dunkerque, de Maubeuge ou encore de Béthune, tous les participants prennent part à cet espace de dialogue qui leur est offert, conçu comme un vivier de réflexions diverses.
Ici, les plus pauvres ne sont pas des individus jugés sur leur manque, mais plutôt sur leurs capacités et sur leurs connaissances en matière de survie. En effet, les bénévoles de l’association, aussi surnommés “les alliés”, estiment que ces personnes ont autant de connaissances à leur apporter qu’eux en ont à leur procurer. Les individus sont remis d’égal à égal, sans supériorité ni domination, car il s’agit de supprimer les rôles assignés à chacun et mettre fin aux pratiques d’assistance. Les Universités Populaires sont bien des lieux d’enseignement, car chacun peut tirer parti d’un autre : c’est un lieu de formation réciproque où l’on apprend les uns des autres.
Les personnes en situation d’extrême pauvreté prennent le contrepied de la représentation que la société leur assigne d’ordinaire, en se présentant de manière digne et respectable. Cela permet de rompre avec une image péjorative, qui alimente un cercle vicieux de désintégration sociale. Ce moment de parole est une opportunité qui procure un regain d’humanisme à leur égard et une totale reconsidération de leur statut.
Les mains levées se font alors de plus en plus nombreuses dans la salle : alors qu’une personne évoque la lenteur des démarches administratives à l’aune de ce qu’elle nomme une “violence institutionnelle”, d’autres personnes prennent la parole pour évoquer des histoires plus personnelles, de violences conjugales ou de violences financières. « Tu encaisses, tu encaisses, et un jour tu exploses », s’indigne une personne, tandis qu’à l’autre bout de la salle, un homme surenchérit : « Pourquoi il faut attendre un drame pour qu’on intervienne ? » Les “militants”, ces personnes en situation de pauvreté qui refusent la misère, parviennent à débattre entre eux et à faire entendre leur voix, qui sont si peu écoutées en temps normal.
“Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré.”
Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde.
Derrière ce droit à la parole accordé aux personnes qui en sont d’ordinaire privées, on retrouve la volonté de l’association ATD Quart Monde de construire une société plus égalitaire et de respecter la dignité de chacun. Fondée en 1957 par Joseph Wresinski, ce mouvement vise à “éradiquer la pauvreté”, car cette dernière est définie comme une invention de l’homme pouvant être totalement éliminée. Afin de mener à bien ce projet qui peut sembler utopiste selon certains, ATD s’appuie sur trois piliers qu’elle détaille : l’action sur le terrain, l’action auprès des institutions mais aussi les actions sur l’opinion publique afin de transformer les représentations dominantes.
Plus qu’un simple groupe de parole selon l’association, ces Universités Populaires, qui renouent le collectif et renforcent la solidarité, sont alors pensées comme un premier pas vers l’éradication de la misère.
Coppelia Piccolo
« Une Université populaire, c’est un lieu d’écoute. » C’est l’une des premières choses que nous dit Pascal Percq, bénévole de l’association ATD Quart Monde et journaliste, lorsque nous le rencontrons. La vocation des Universités populaires, c’est de permettre à des personnes en situation de précarité de prendre la parole mais aussi d’être écoutés. Certains ne s’expriment pas durant ces moments. Ils écoutent, acquiescent, comprennent. Parce que les thèmes abordés font écho à leur quotidien. Cette année, les militants ont parlé de violence, et parleront dans les mois à venir des jeunes et de l’environnement, parce que ce sont les sujets qu’ils ont choisis d’aborder. Leurs réflexions, leur vécu, leurs histoires. C’est ce qui est au cœur de ces Universités organisées par ATD Quart Monde. Oser prendre la parole, parce qu’il faut du courage pour s’exprimer devant un auditoire, c’est aussi pour eux un moyen de retrouver leur place dans une société où ils sont souvent ignorés ou laissés pour compte. Les Universités populaires donnent la parole à ceux que l’on n’entend pas ou peu, mais qui ont pourtant beaucoup de choses à dire et à apporter. Mais il s’agit avant tout d’un moment de partage. Car oui, il y a tout à apprendre des personnes qui survivent tant bien que mal chaque jour de leur vie. Et pour cette raison, ce qui importe avant tout durant ces moments d’échanges, c’est l’humain et sa dignité inaliénable.
Marie Littlock
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