Face à une précarité de l’emploi et une baisse de la clientèle dans les centres-villes, mis au placard par les services en ligne, les boutiques éphémères font leur apparition.
Quelques heures, quelques jours, quelques minutes à contrario d’un contrat de location d’une durée obligatoire d’un an, voici le maître mot de ces boutiques. Elles font de la résistance. Car oui ! Certains ont bien compris que, dans notre société, le client est roi et a tout servi sur un plateau d’argent. Ici, c’est à lui de venir s’informer pour ne pas louper l’exclu. Aujourd’hui, on aime se démarquer. Il est toujours plaisant d’avoir LA chose qui va nous faire nous sentir différent et combattre une uniformisation où seul notre numéro de sécu nous démarque des autres.
RAPPEL SUR LE DROIT FRANÇAIS :
Pour les boutiques classiques, il existe deux types de bail :
- le bail commercial d’une durée de 3, 6 ou 9 ans.
- le bail précaire de 1 an, reconduit 3 fois maximum.
Pour les boutiques éphémères, on parle de bail dérogatoire, d’une longévité maximum de 6 mois.
À travers ce phénomène qu’on pourrait qualifier de fait de mode, on constate qu’il permet d’ouvrir des portes sur des problèmes de société comme le chômage, le facteur psychologique – où la routine nous blase – ou encore l’hyper-connexion, lorsque certains ne sortent plus pour acheter et reçoivent directement au bas de leur pallier.
Une nouveauté d’un entrepreneuriat 2.0 permettant aux plus jeunes, aux plus vieux ou aux non-adeptes de Parcoursup de prendre ce risque. Toujours avec cette marge de manœuvre où « si ça marche, je reprends un mois. Sinon, j’arrête et je change de région ». Un moyen de devenir son propre patron sans avoir à penser aux cautions données des 5 prochains mois, mais plutôt à la prochaine destination où le stock pourra se vider. « La partie administrative reste une chose assez simple », rassure Corinne, auto-entrepreneuse depuis maintenant 1 an.
Le cerveau business à l’état brut
James Jebbia, fondateur de la marque internationale de streetwear Supreme, est l’un des pères fondateurs de ce projet éphémère, non pas ici par le lieu mais par un produit limité. Il met en place le phénomène de rareté et ça cartonne !
Mais revenons à notre échelle, et parlons de nos minis James Jebbia du quotidien. Ces personnes se lancent dans un parcours encore tout jeune en France. Un pari qu’a décidé de prendre Corinne, vagabonde de notre hexagone, qui nous raconte son expérience.
Créatrice de son magasin Bulle de Douceur. Je décèle à travers notre entrevue que pour survivre dans le monde du travail on doit la jouer stratège. Et ça commence dès la matière première : “J’apporte des savons fabriqués artisanalement que j’ai été chercher au plus petit savonnier. Il faut toujours chercher le produit qui n’est pas connu et que les gens se sentent obligés d’acheter tout de suite quand ils le voient.” Une façon de se distinguer de ces grandes surfaces qui proposent, à Cracovie, Lyon ou Berlin, les mêmes marques de shampoings ou gels douche. De plus, l’approche du client n’est pas du tout similaire : “J’arrive à donner des conseils sur un produit que je vends parce que je le connais.”
Pour cette cheffe d’une boutique à durée limitée, le nerf de la guerre c’est la communication ! Sans communication comment se faire connaître ? Et sans les réseaux sociaux n’en parlons pas : “Au départ, je communiquais via les flyers et journaux. J’ai eu du mal à me faire connaître. Mais depuis que j’utilise Facebook ça commence à partir. Sans ça, ça ne marcherait pas du tout ! Les partages, les likes m’ont permis une visibilité que je n’aurais jamais pu espérer.“
“C’est vrai que les gens, une fois qu’ils sont habitués à une boutique, ils passent devant, ne la regardent plus” : un système qui joue avec notre capacité d’attention. Nous irons davantage nous focaliser sur une chose nouvelle que sur une image familière qui a déjà été analysée par notre cerveau. Une envie d’être surpris et de se faire surprendre.
Appel aux maires !
Nos métropoles des Hauts-de-France – Valenciennes, Douai ou encore Calais – voient leurs centres-villes se désertifier.
Exemple, rue des Récollets, dans l’hyper-centre valenciennois. Le tramway passe mais pas les clients. Sur les 36 commerces de la rue, 11 ont fermé. Suite à ce phénomène, on peut se demander pourquoi pas les boutiques éphémères, qui apportent une visibilité à ces nouveaux entrepreneurs, remplissent les centres-villes et font ainsi profiter les commerces aux alentours. Mais le problème, comme l’explique Corinne, c’est le prix élevé des loyers : « Si seulement les mairies baissaient le prix des loyers… pour nous il est impossible de les suivre. »
La prudence est toutefois recommandée et le succès ne viendra pas en un événement. « J’ai déjà connu des jours où ma caisse n’a été ouverte qu’une seule fois et certaines collègues venaient à perte faute de clientèle ».
Eva JAUER
LES POP-UP STORES, UN CONCEPT MADE IN USA
C’est aux Etats-Unis, dans les années 2000, que les premières boutiques éphémères font leur apparition. Ces pop-up stores (en anglais) connaissent un franc succès et continuent de fleurir partout dans le monde, 20 ans après. D’abord destinés au marketing de la mode, ils s’étendent aujourd’hui à des milieux divers et variés.
L’avant-gardiste de ce concept c’est Nicola Hayek, fondateur de la célèbre marque de montre Swatch. À l’époque, il est le premier à lancer cette hype autour du phénomène d’éphémérité. Et ça marche.
« On vient faire du bruit et on dégage »
avait-il déclaré. Un véritable buzz se créé autour de sa marque et tout le monde en parle. À commencer par les médias et les journalistes qui s’en emparent. Une occasion unique de promouvoir son projet, d’autant plus aujourd’hui avec l’essor des réseaux sociaux.
Si le milieu de la mode est, ou plutôt était, particulièrement ciblé, on y trouve maintenant de tout : accessoires, décorations, nourritures. Mais pas que. Les galeries d’art s’inspirent également de ce concept en organisant des expositions éphémères.
Alexandre SALAS