Lutte contre la précarité : les Restos du Cœur comme évidence
Ce mardi 26 novembre, comme chaque année, les Restos du Cœur démarraient leur campagne d’hiver qui s’étendra jusqu’au 16 mars. Un moyen de lutter contre la précarité.
Il est 8h30, il fait froid. Pourtant, la queue ne désemplit pas au centre Dupire des Restos du Cœur de Villeneuve d’Ascq. La ferme dans laquelle il se tient est exiguë et l’activité y est importante. Créée en 1985 par l’humoriste Coluche, l’association, à but non lucratif, vient apporter son aide aux personnes dans le besoin. L’objectif principal reste évidemment la distribution de nourriture, et donc la lutte contre la précarité. Cet hiver, 900 000 Français vont bénéficier des Restos du Cœur. 80 % de ces familles touchent moins de 513 € par mois : ce qui représente la moitié du seuil de pauvreté.
Francis Delemarre, responsable du centre Dupire de Villeneuve d’Ascq, affirme que la branche villeneuvoise vient en aide à près de « 300 familles et 300 étudiants ». Chaque matinée, de nouveaux futurs bénéficiaires viennent s’inscrire aux Restos du Cœur. L’une de ces scènes se passe sous nos yeux. Un homme se présente et demande s’il peut s’inscrire. On lui répond qu’il est déjà venu et que les inscriptions sont toujours le jeudi… Des anecdotes, les 46 bénévoles en ont plein. Ils entretiennent des liens de proximité avec les personnes accueillies dans leurs locaux. Les bénévoles sont avant tout des retraités, ce qui n’inquiète pas Francis Delemarre. Il nous l’affirme : « On a de plus en plus de jeunes qui veulent nous aider. »
Un système bien en place
Lors de la collecte, chaque famille dispose d’un « porte-monnaie de points ». Il se réfère à des barèmes nationaux, qui permettent à une personne seule de récupérer l’équivalent de 9 repas par semaine ou 6 repas par adulte pour une famille. Le lait et les produits en surplus sont systématiquement offerts en dehors de ce compte.
Les Restos du Cœur profitent aujourd’hui d’une aide européenne, au même titre que le Secours Populaire ou la Croix Rouge. Mais Francis Delemarre s’inquiète de la situation de cette subvention dans le futur. En effet, certains pays considèrent qu’ils n’ont pas de pauvres et ne veulent pas payer une aide qu’ils estiment être pour les autres pays. Ce serait donc la fin d’un financement qui représente 20% du budget du centre. Alors, comme tous les ans, les bénévoles appellent aux dons, financiers ou matériels. Cette année, les Restos du Cœur du département du Nord ont récolté près de 4,9 tonnes de denrées alimentaires sous forme de dons (soit 1 tonne de plus que l’année dernière). L’autre méthode de récolte de nourriture s’appelle « la ramasse ». Une camionnette et des bénévoles font le tour des supermarchés (comme Match et Lidl), des boulangeries ou tout autre enseigne partenaire pour récupérer les invendus ou aliments impropres à la vente. Cette méthode amène dans le centre des produits du jour. Comme des fruits et des légumes mais aussi du pain ou des viennoiseries, qui sont redistribués dans la matinée.
Créer un lien social
Pour Francis Delemarre, les Restaurants du Cœur , « c’est gratuit et c’est un accueil inconditionnel » mais « totalement différent d’il y a 35 ans ».
En effet, ce n’est plus uniquement des distributions de denrées alimentaires. Le but de l’ONG et du centre de Dupire est de créer du lien social. Notamment en proposant de l’aide à la personne, avec de plus en plus d’équipement informatique. L’objectif : garantir l’accès aux personnes dans le besoin à internet pour réaliser des démarches administratives. Aussi, Francis Delemarre nous raconte que les bénéficiaires aiment venir avant leur heure de passage à la distribution pour discuter avec les autres personnes accueillies ou les bénévoles. Il suffit de regarder dans la salle où le café est distribué : elle est bondée.
Mais à la vue de la caméra, les premières personnes présentes commencent à s’inquiéter et nous demandent de ne pas les filmer. Un d’eux en viendra même à nous dire : « Vous savez, venir aux Restos du Cœur , c’est pas facile. » Une timidité vite rassurée par le sourire jusqu’aux oreilles des bénévoles, qui apparaissent tous confiants et contents de la mission sociale qu’ils accomplissent. L’une d’elle glisse : « À la semaine prochaine ! » en rigolant. L’ambiance est bon enfant et tranche avec la situation précaire de chacun. C’est un moment de simplicité et de considération, dans la vie difficile des gens qui ont recours à l’aide alimentaire. Les Restos du Cœur « c’est aussi un lieu de rencontre », nous rappelle le responsable, une bibliothèque et un coiffeur sont aussi mis à disposition par le centre. Toujours dans le but d’offrir un maximum de services aux personnes dans le besoin. « On a même vu des petits couples se former ici où là ! », s’amuse-t-il.
On ressort de la ferme avec un sentiment étrange. Nous venons de voir un monde totalement différent de celui que l’on connaît. Un monde où l’entraide est reine. Où aucun préjugé ne domine. Une certaine timidité pointe parfois au moment d’apparaître dans une vidéo. Mais le retour du sourire au moment d’entrer dans la salle de distribution et un accompagnement hebdomadaire rassurent. Les bénévoles, eux, sont enjoués et fiers de la mission sociale accomplie au quotidien. Dans un monde où chacun est conscient de la précarité et de ses conséquences, ils tentent de la combattre.
« C’est pas vraiment ma faute si y’en a qui ont faim mais ça le deviendrait si on y changeait rien », 34 ans après la création des Restos du Cœur, Coluche serait fier d’eux.
Valentin Maio
© Photos : Louis Rengard
Aux Restos du Cœur
Zoom : Les Restaurants du Cœur, une lutte contre la précarité étudiante
« La population la plus touchée par la pauvreté, ce sont les jeunes. » Ce n’est pas moi qui le dis, mais Antoine Dulin du conseil d’orientation des politiques de jeunesse. On parle en ce moment beaucoup de précarité étudiante. Le sujet enflamme les débats politiques et médiatiques ainsi que l’opinion publique. Une problématique largement mise en avant depuis l’immolation par le feu d’un étudiant lyonnais de 22 ans qui avait perdu sa bourse. Et pour cause, 51% des bénéficiaires des Restos du Cœur ont moins de 26 ans selon le journal Le Monde. Et ce ne sont pas moins de 30 000 étudiants qui ont bénéficié de l’aide alimentaire proposée par l’association au cours de l’année 2018.
Dépendance des parents qui n’ont pas toujours les moyens de supporter celle-ci, niveau des bourses, montant des loyers ou encore baisse des APL, ces sujets inquiètent de nombreux étudiants qui sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Et si le gouvernement, pour qui la précarité étudiante semble un tabou, se défend d’avoir amélioré quelque peu leurs conditions de vie en rattachant leur sécurité sociale au régime général, le problème persiste. L’ouverture récente d’un centre des Restaurants du Cœur à Villeneuve d’Ascq dédié aux étudiants, avec des horaires qui leur sont adaptés, en est la preuve. Alors quand on sait que, selon l’Insee, 20% des étudiants sont en-dessous du seuil de pauvreté, peut-on enfin parler de cette dite précarité ?
Maxime Laurent