Tous curieux : faire le lien entre Booba et Mozart
L’association Tous curieux ambitionne d’ouvrir les jeunes issus de milieux défavorisés à des pans de la culture qu’ils jugent trop souvent inaccessibles. Pour se faire, elle crée des ponts entre cette culture dite « dominante » et celle largement partagée par les élèves.
« Tous les enfants devraient avoir le droit à la culture, la musique, la littérature, la peinture comme ils ont le droit à l’alphabétisation », André Malraux. Cette citation est lue devant une classe de collégiens, au collège Laplace, à Créteil. « Qu’est-ce que vous en pensez ? », demande un intervenant. « C’est le cas », répond Zakaria. « Si je veux je peux aller voir un film au cinéma, lire à la bibliothèque municipale… » Certes. Mais la question de l’accès à la culture semble plus complexe que cela.
C’est en tout cas ce que pense Abdelilah Laloui, cocréateur de l’association Tous curieux. En intégrant Sciences Po, il a reçu ce qu’il appelle « une grande claque sociale » : ce jeune adulte qui a fait toute sa scolarité à Créteil s’est retrouvé entouré par des gens qui avaient l’habitude depuis toujours d’aller au musée, de lire de la littérature… Il a alors compris à quel point le milieu social joue sur l’accès à la culture d’un individu : « Il y a évidemment la barrière économique, mais pas seulement : en France les musées publics sont gratuits aux moins de 18 ans. Alors comment se fait-il que pratiquement aucun jeune issu de banlieues défavorisées ne s’y déplace ? Car il y a une barrière sociale. » Tous curieux est donc créée en 2017, avec pour ambition de démocratiser l’accès à la culture sous toutes ses formes, au sein de collèges classés « Réseau éducation prioritaire ».
Devant une classe de jeunes élèves, les bénévoles de l’association proposent des citations et des questions en lien avec la culture, ainsi que des extraits d’œuvres. Aujourd’hui le thème c’est la musique. On écoute donc quatre extraits musicaux : deux de rap (Keny Arkana, Soprano) et deux de musique classique (Prokofiev, Vivaldi). Le but est évidemment de faire des liens entre une musique actuelle que les élèves écoutent, et une musique qu’ils verront comme n’étant pas faite pour eux. Et cela marche : « J’ai beaucoup aimé les extraits de musique classique qu’ils nous ont fait écouter », déclare Mariam. Kenza dit quant à elle : « Ça m’a appris que je devais changer mes préjugés sur la musique. » Mais lorsqu’on lui demande si elle va désormais écouter régulièrement de la musique classique, elle répond : « Je pense pas, non (sourire). »
À l’école, les profs s’en foutent de notre avis
Ilan, élève au collège Laplace
Du travail pour l’association Tous curieux ? Certainement. Mais n’est-ce pas aux professeurs de répondre à ce problème d’inégalité face à l’accès à la culture ? Lorsqu’un étudiant de 19 ans se charge lui-même de remédier à un tel problème, cela ne fait-il pas état d’une certaine démission de l’Éducation nationale, d’un manque moyen ou de temps consacré à une forme d’épanouissement des élèves ? Quoi qu’il en soit, les assemblées de curieux n’admettent pas les professeurs. Tout un symbole, que nous explique Abdelilah Laloui : « En France, il y a cette hiérarchie entre le prof qui a le savoir et les élèves qui doivent écouter et absorber ce savoir. On essaie de briser toute verticalité, sinon les élèves s’autocensurent et ne s’estiment pas légitimes à parler de culture. » C’est pourquoi les bénévoles de l’association font leur maximum pour que chaque élève s’exprime, avant de transmettre leur message. Une méthode à laquelle souscrit totalement Ilan, qui a assisté à une assemblée de curieux : « À l’école les profs s’en foutent de notre avis. On doit trouver ce que l’auteur a voulu nous faire comprendre. Je pense qu’on devrait d’abord exprimer nos avis personnels, et après les enseignants nous disent ce qu’ils en pensent. »
Tous curieux milite donc pour une autre méthode de transmission du savoir culturel que celle de l’Éducation nationale. Une différence que résume Grand Corps Malade sur Canal +, après un reportage sur l’association : « Évidemment il faut apprendre ce qu’il y a dans les livres, et l’école le fait bien. Mais il faut faire des passerelles avec notre époque pour intéresser les élèves. »
Thomas Ribaud
Crédit vidéo : Lisa Pillaud
L’égalité des chances dans l’enseignement supérieur : quelle réalité ?
En France, on met l’accent sur la notion d’égalité des chances. Selon cette idée, on chercherait à faire en sorte que les individus disposent des mêmes opportunités de développement social, indépendamment de leur origine sociétale, ethnique, etc. Mais peut-on pour autant dire qu’en France, il y a égalité des chances ? Comment une personne issue d’un milieu ouvrier pourrait-elle avoir les mêmes possibilités qu’un fils de cadre, par exemple, lorsqu’il s’agit d’entrer dans une école de commerce à 15 000€ l’année ? Selon un rapport de l’Observatoire des inégalités, il y aurait d’ailleurs 2,9 fois plus d’enfants de cadres que d’enfants d’ouvriers dans l’enseignement supérieur.
Pour répondre à ce problème, certaines grandes écoles ouvrent des filières intitulées « égalité des chances » qui sont censées ouvrir des portes à quelques élèves issus de milieux défavorisés. Mais, au final, ces dispositifs ne sont presque que symboliques, puisque seul un petit nombre d’étudiants parvient à y accéder, alors que près de 30% des jeunes âgés de 18 à 24 ans sont issus d’un milieu ouvrier. Il y a aussi des communications faites par les grandes écoles, prônant qu’ils accueillent de plus en plus de boursiers. Malheureusement, encore une fois, l’impact est très faible. Beaucoup d’étudiants boursiers appartiennent à la classe moyenne. On peut être boursier sur huit échelons différents, cela ne peut pas être une donnée universelle. Science Po Paris met par exemple en avant un taux de 30% d’étudiants boursiers alors qu’en réalité, seuls 11% des élèves sont d’origine populaire. Le chemin est donc encore long, et l’on peut légitimement douter de la possibilité même d’une réelle égalité des chances.
Laura Donzelle
Crédits photo à la Une : réseaux sociax Tous Curieux