Liens tissés et solidarité avec des femmes en situation de précarité à Douai
Accompagner des femmes en situation de précarité pour qu’elles reprennent confiance en elles et leur apporter de l’aide en fonction de leurs demandes. Voici les objectifs de l’association Matern’elles – créée en 2010 par des étudiants de l’IÉSEG (Institut d’Économie Scientifique et de Gestion) – qui intervient au foyer La Maisonnée à Douai.
« Il y a les Matern’elles qui sont là ! Il y a les Matern’elles qui sont là ! », peut-on entendre chuchoter à leur arrivée. Cet accueil enthousiaste et impatient est l’une des premières choses qui a agréablement surpris Timothée, membre de l’association depuis quelques mois. Bien que celle-ci existe depuis 2010, le groupe d’étudiants qui s’investit au sein de Matern’elles est renouvelé chaque année. De ce fait, pour leur première activité en septembre 2019, la nouvelle équipe avait organisé un « Ice Breaker » (« briser la glace »). Le but était d’amener chacun des participants à se connaître. Faisons donc les présentations : d’un côté il y a Marie, Timothée, Arthur, Lila, Victor, Alexandre et Charlotte, tous étudiants de 19 ans à l’IÉSEG, une école de commerce à Lille. De l’autre, des femmes qui vivent toutes au foyer La Maisonnée à Douai, parfois avec leurs enfants et dans de très rares cas avec leur conjoint.
Il est difficile de présenter ces femmes car chacune a un parcours de vie très différent. L’isolement, la précarité, l’inactivité professionnelle et la sécurité qu’elles trouvent au foyer sont leurs points communs. Durant l’activité « Ice Breaker », qui se déroule dans la grande salle de réunion du foyer, tout le monde se mélange. Une trentaine de personnes forment un cercle. Chacun évoque l’un de ces centres d’intérêt et lorsqu’une autre personne a aussi cette passion en commun, le premier envoie au second une bobine de fil. Celle-ci passe de mains en mains. Au final, une grande toile se forme. L’objectif est de tisser des liens au sens propre comme au sens figuré.
Échanges d’expériences
Connaître leurs centres d’intérêt permet à l’association de proposer aux femmes habitant à la Maisonnée une aide adaptée et ciblée à leurs demandes et à leurs besoins. « Nous organisons des activités familiales, de loisirs, mais pas uniquement. Notre objectif principal est de leur apporter notre aide pour se réinsérer sur le marché du travail. Pour cela, nous essayons tout d’abord de leur faire prendre conscience de leurs capacités. Le manque de confiance en soi est très souvent l’un des obstacles qui empêche la recherche d’emploi », explique Timothée. Concrètement, pendant le « Ice Breaker », l’intérêt pour la « cuisine » a plusieurs fois été exprimé. L’association a donc organisé des ateliers culinaires qui permettent de réunir femmes et enfants : confection de crêpes, préparation d’un repas pour Halloween… Parallèlement, Matern’elles souhaite faire venir prochainement un cuisinier ou un restaurateur pour expliquer son métier et transmettre son expérience. Le manque d’expérience est justement ce qui fait préoccupe les membres de l’association. Pour cette raison, ils pensent manquer de légitimité et de crédibilité pour agir auprès de ces femmes :
D’où l’idée d’organiser une rencontre avec des professionnels dont le métier intéresse ces femmes. Mais, malgré toutes ces initiatives, la réinsertion professionnelle est un processus long qui prend généralement des années. Or, ces étudiants ne peuvent agir qu’à court terme : une période de neuf mois imposée par leur école. De plus, il est difficile de suivre l’évolution de ces femmes car la plupart d’entre elles changent souvent de foyer.
Lumière sur les invisibles
La prochaine intervention de Matern’elles se fera en collaboration avec une autre association, Détournoyment, qui crée des spectacles de théâtre de rue et de cirque avec très souvent des personnes en situation de précarité. Originaire de Douai, une femme autrefois sans-abris et aujourd’hui très populaire, est sortie de la pauvreté grâce au théâtre, au cinéma et à l’association Détournoyment où elle a fait ses débuts. C’est Corinne Masiero. Elle a notamment joué dans la comédie Les Invisibles de Louis-Julien Petit sorti en 2018. Le film se déroule dans le Nord de la France et raconte l’histoire de travailleuses sociales qui tentent de réinsérer professionnellement les femmes qu’elles aident dans un centre d’accueil de jour. Un écho et une ressemblance évidente avec la vie de Corinne Masiero. Les femmes en situation de précarité peinent à trouver leur place dans la société. Elles sont fréquemment ignorées et stigmatisées par une partie de la population et dans les médias – encore récemment, les propos de l’éditorialiste Julie Graziani sur la chaîne TV LCI en sont l’illustration (Lire ci-dessous) – . Dans ce contexte, l’association Matern’elles s’insère tel un maillon dans la nécessaire chaîne de solidarité au profit de ces femmes fragilisées.
Lucile Coppalle
Illustration en Une : l’activité “Ice Breaker” dessinée par A. Boukhari.
Interview de Marie, présidente de l’association Matern’elles cette année. Vidéo réalisée par Eliot Pierreuse.
Explication en réponse à Julie Graziani :
Être une mère célibataire en France en situation de précarité
Dans un premier temps, le nom de Julie Graziani ne vous dit peut-être rien. Pourtant, vous avez sûrement découvert cette éditorialiste suite aux propos qu’elle a tenus sur LCI, le 4 novembre dernier. Dans cette séquence, elle réagissait au témoignage d’une femme célibataire, au Smic, avec deux enfants, qui confiait sa situation précaire au Président de la république, lors de son déplacement à Rouen.
Des propos réitérés à de nombreuses reprises sur les réseaux sociaux, et qui ont suscité de nombreux commentaires et une large indignation des internautes. Cependant, les propos polémiques de Julie Graziani ont, à leur insu, pointé du doigt une situation jusque-là négligée voire même absente de l’opinion publique : la situation précaire des mères célibataires.
Le nombre de mères célibataires en France est en constante augmentation. Aujourd’hui, selon l’INSEE, on en compte environ 1,5 million. Un nombre qui a quasiment doublé en 30 ans. La forte explosion du nombre de divorces semble être la principale cause de cette croissance. À titre de comparaison, le nombre de pères célibataires en France en 2019 est quant à lui bien moins élevé puisqu’il s’élève à 290 000, soit seulement un sixième de la totalité des foyers monoparentaux.
Les mères célibataires sont donc extrêmement plus nombreuses et se retrouvent également dans des situations beaucoup plus précaires que celles des pères célibataires. Toujours selon l’INSEE, 35% d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté soit 1 334 euros par mois avec un enfant.
Pour survivre malgré la précarité, ces femmes bénéficient aujourd’hui de quelques aides comme le RSA, l’allocation de soutien familial ou encore les aides au logement. Cependant, l’ensemble de ces aides sont souvent insuffisantes pour sortir durablement de l’isolement professionnel et social.
La polémique et le débat provoqués par les propos de Julie Graziani auront donc eu le bienfait de soulever le problème de la précarité chez les mères célibataires. Mais, il est encore bien loin d’être résolu.
Robin Schimdt