L’atelier de Bruno Gérard : havre pour artistes handicapés
Posted On 27 février 2020
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Cela fait parfois 30 ans qu’ils viennent y peindre. Pour y accéder, il nous faut passer la porte d’un grand bâtiment agricole, dépasser la grange, serrer une trentaine de mains intriguées par notre présence, pour enfin arriver à l’atelier mansardé où Bruno se tient chaque matin, de 8h30 à 18h30. En vérité, il arrive plutôt à 7h30 pour « qu’on ait le temps de déposer nos odeurs », affirme-t-il.
Que ressent-on en y pénétrant ? Déjà, l’impression étrange d’entrer par effraction dans une bulle de créativité et d’amour intense. Mais aussi d’y être chaleureusement introduit. A peine un pied posé au milieu des murs bariolés de toiles que l’on est accueilli à bras ouverts par le créateur de l’atelier.
Bruno Gérard, 40 ans de métier en tant que professeur de dessin, admet avoir atterri à La Pommeraie par hasard. D’ailleurs « ici de toute façon on est que des incompétents, c’est peut-être ça qui est bien », convient-il dans un rictus narquois. Engagé comme éducateur il y a plus d’une trentaine d’années, sans aucune formation, il a d’abord passé ses jours et ses nuits à s’occuper de personnes majeures en situation de handicap logés dans les « maisons » de La Pommeraie. Quelques années plus tard, il créé son atelier de dessin.
Actuellement, l’espace de La Pommeraie comprend 35 ateliers d’activités variées et à chacun d’eux est affilié un éducateur. 80 personnes travaillent pour l’institution, qui chaque jour accueille 230 personnes dont le handicap peut aussi bien être léger que nécessiter une assistance constante.
La Pommeraie est surtout un espace riche culturellement. Vu le nombre incalculable d’œuvres produites, la Fondation Paul Duhem, attenante à l’atelier, est créée en 2016 pour exposer ces travaux au grand public. Elle prend le nom d’un des premiers élèves de Bruno, aujourd’hui reconnu mondialement. Effectivement les œuvres des artistes sont exposées non seulement dans la région comme au musée de l’hospice comtesse à Lille, mais aussi à Hong-Kong, Moscou, où les artistes ont fait le voyage pour l’occasion avec Bruno. Plus qu’une question d’art c’est donc surtout un lien humain que tisse Bruno avec ses artistes.
En abordant l’aspect thérapeutique de l’atelier, Bruno semble prudent. Fermant les yeux pour ne pas perdre ses mots, il murmure : « Il y a une très belle phrase, j’y crois vraiment. Si tu fais de la thérapie, tu n’arrives jamais à l’art. Mais si tu fais de l’art, tu peux arriver à la thérapie. » Pour lui le but de l’art n’est pas de soigner par des exercices concrets. Car « y a-t-il une création heureuse ? ». Il confit être attentif lorsqu’une personne lui parle de son dessin, mais ne pas analyser et être méfiant des « interprétations loufoques faites par des psys ».
Y a-t-il en France une main tendue à ceux qui se voient souvent répondre qu’ils ne possèdent pas « les critères requis », qui ne rentrent pas dans les cases ? Après 18 ans, les personnes possédant un handicap mental sont souvent dans l’impasse. Pour Bruno, ce concept de thérapie est très français. Il aborde la « culture hospitalière française » qui serait la raison du manque d’institutions comme La Pommeraie en France. Entre Maubeuge et la frontière franco-belge, on compte plus de 360 établissements de ce type. En France, ils ne sont toujours qu’une poignée.
Elise Gallé-Tessonneau
Edito : Prenons exemple!
« Si tu fais de la thérapie, tu n’arrives jamais à l’art. Mais si tu fais de l’art, tu arrives à la thérapie. » Ces mots sont ceux de l’artiste Bruno Gérard. Ils dépeignent une autre manière de prendre en charge les personnes en situation de handicap. A bas le placement tous azimuts en psychiatrie, notre modèle tricolore devrait revoir sa copie : chiffres à l’appui.
Une culture hospitalière obsessionnelle
Les chiffres donnés en 2017 par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation sont révélateurs de l’ampleur de la psychiatrie en France. On dénombre 420000 patients hospitalisés dans ces structures, dont 81000 sans leur consentement. Comment envisager une meilleure situation pour ces personnes sans leur volonté ? Non il ne s’agit pas de nier ou de contester l’importance de l’hôpital, mais de pointer du doigt cette alternative comme moyen trop souvent utilisé. Nos amis belges ont bien compris que l’épanouissement était une solution plus saine.
La thérapie belge
Ici à la fondation, les personnes ont le choix et disposent de leur propre libre-arbitre. Chacun est libre de dessiner ce qu’il souhaite ou de se rendre à l’atelier de son choix. Dans l’atelier, « la temporalité est un atout », et non pas une contrainte. Pas de patients à soigner, de médicaments à administrer d’urgence, juste des passions qui se libèrent via un crayon et un pinceau. Les personnes rencontrées étaient joviales, désireuses de nous faire part de leurs créations. On pouvait notamment discuter avec de nombreux français séduits par cette liberté dont ils bénéficient. Alors qu’attendons-nous pour nous inspirer de ces institutions, prenons exemple!
Milan Busignies
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