Soutien scolaire en milieu défavorisé ou comment lutter contre le déterminisme social
En 1993, El-Hadj Barry, docteur en Mathématiques, créait l’Association Pour le soutien scolaire (APSCO). Reconnue d’intérêt général, elle accueille aujourd’hui ceux, indépendamment de l’âge, qui souhaitent se remettre à niveau. Retour sur une initiative salvatrice, basée sur la métropole lilloise.
« A l’époque, j’avais été nommé conseiller de quartier par Pierre Mauroy, raconte M. Barry. En me promenant dans Lille Sud, je me suis demandé : que peut-on faire pour les enfants de ce quartier ? J’ai décidé d’agir. » Au commencement, le collectif rassemblait 15 élèves. Puis une quarantaine l’année suivante. Et 70 l’année d’après. Très vite, il a fallu changer de locaux, puis créer de nouvelles antennes : « Nous sommes désormais implantés dans trois villes de la métropole Lilloise : Fives, Hellemmes et Roubaix », précise Françoise Baillieux, enseignante à Lille et responsable administratif de l’APSCO.
Au cœur des quartiers populaires où, selon les mots de son président « l’égalité des chances est en panne », l’APSCO entend combattre le problème à sa racine par le soutien scolaire. « Qu’on ne se leurre pas, les personnes que nous accueillons (enfants et adultes, Ndr) sont en majorité issues de l’immigration, et certains sont des primo-arrivants », explique M. Barry. Au-delà de la réussite scolaire des intéressés, l’objectif est de faciliter l’intégration sociale et professionnelle, tout en mettant l’accent sur l’éducation à la citoyenneté. « Les cours vont du niveau primaire jusqu’au lycée. Toutes les matières sont enseignées. Nous avons recours à des étudiants que nous sélectionnons et qui sont rémunérés pour leur travail », détaille le président fondateur.
« L’égalité des chances est en panne »
En plus de son action tournée vers la jeunesse, l’association entend également lutter contre l’illettrisme qui, rappelons-le, touche 7 % des adultes français. Si ses ressources le lui permettent, l’APSCO organisera également des sorties de groupe avec les élèves (visite de musées, monuments historiques, etc.). Autant d’actions qui ont un coût de revient important pour une association qui repose sur le bouche-à-oreille : « Nous recevons quelques aides de l’Etat, de la ville de Lille, du département etc. Mais nous avons aussi dû fermer quelques-unes de nos antennes pour des raisons de budget », regrette Mme Baillieux.
Conséquences financières
Les cours de soutien scolaire dispensés à l’association sont également devenus payants, mais le prix reste fort modique, ne dépassant pas les deux euros de l’heure. « Beaucoup de parents se sont offusqués de l’instauration d’un tarif horaire. Nous leur avons répondu qu’il en allait de la pérennité de l’association », confie El-Hadj Barry. Et de conclure, non sans un brin de fierté : « Quand je vois certains de nos élèves qui obtiennent leur bac avec mention, et intègrent des écoles prestigieuses : écoles d’ingénieur, polytechnique, centrale, etc. je ne peux m’empêcher de penser que nos efforts ont payé. »
Tristan Marchal
Rencontre avec El-Hadj Barry, président de l'APSCO
ZOOM : La faillite du système scolaire français
Le système scolaire français est-il complètement nul ? On voit régulièrement fleurir de nombreux articles, ouvrages destinés à remettre en question le système mise en place par l’éducation nationale en le comparant régulièrement à nos voisins européens, voir à nos collègues américains. Mais en quoi est-il critiquable ?
Tout d’abord, le système français est profondément inégalitaire selon bon nombre de sociologues. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron montrent dans divers ouvrages que l’école reproduit inconsciemment les inégalités sociales. Selon eux, les pratiques d’enseignement favorisent les élèves ayant accès à un fort capital culturel propre aux classes dominantes, notamment à travers le langage utilisé par les enseignants. Cette affirmation a été reprise par Anne Barrère qui estime que les élèves avec un faible capital culturel ont plus de mal à comprendre ce que les professeurs attendent d’eux. Enfin, un autre auteur, Raymond Boudon, tente d’expliquer d’une autre façon le fait que les inégalités sociales persistent d’une génération à une autre.
Un déclin sans remède ?
Selon lui, « l’éventualité de devenir, par exemple, instituteur n’est pas perçue de la même manière par le fils d’un ouvrier que par le fils d’un membre de l’académie des sciences. » Là où l’ouvrier verra une ascension sociale au prix d’efforts financiers, psychologiques et d’études longues, alors que l’académicien interprétera cela différemment.
Alors bien sûr tout n’est pas totalement à jeter. La France occupe en 2018 la 23e place au classement PISA (Program for International Student Assessment), juste au-dessus de la moyenne mondiale, ce qui n’est pas catastrophique à défaut d’être satisfaisant. Cependant, dans une société qui se veut égalitaire, il serait temps de faire en sorte que chaque élève, chaque écolier ait réellement autant de chances de faire ce qu’il veut que son voisin.