Le logement se réinvente par l’entraide, en contexte de crise
Face à la crise du logement qui sévit depuis une vingtaine d’années en France, de nombreuses alternatives tel que le logement contre service sont mises en lumière.
Le logement contre services est un concept apparu récemment. Il consiste à lier une personne prête à rendre divers services, clairement définis au préalable. Ils peuvent consister en du gardiennage d’enfants, des cours de guitare, du jardinage, des tâches ménagères, de l’assistance à personnes vulnérables ou seulement de la compagnie. Dans cette perspective, le propriétaire offre pour un prix inférieur à celui du marché actuel, un espace de son habitation ou un lieu de vie indépendant, en échange du service apporté. Dans certains cas, le propriétaire, s’il l’estime juste et fonction des services rendus, peut proposer le logement à titre gratuit. Cette formule s’inscrit dans la dynamique florissante d’économie collaborative s’inscrivant dans une perspective de partage et d’échange entre particuliers. Des plateformes numériques peuvent alors servir de lien afin d’établir la relation. Ce mode de logement permet non seulement de bénéficier d’un environnement vivant mais également de profiter de plus grandes surfaces de logement. En opposition aux traditionnels studios privilégiés par les locataires les plus modestes, cette alternative mène à jouir d’une chambre, d’un espace de vie partagé avec l’occupant et le cas échéant dans sa famille.
Lourde charge
Cette formule fait écho à une problématique prégnante qu’est le mal logement. Le mal logement sévit depuis une vingtaine d’années, il opère par différents biais dont : la hausse constante des loyers causée par une demande toujours plus forte ainsi que la salubrité qui en résulte. Celle-ci mène à un difficile accès des ménages à des logements décents en termes de taille notamment. Depuis le mois de septembre 2020, ce phénomène est exponentiel. Il résulte en effet d’un manque d’offre dans des villes telles que Lille, et de procédures d’expulsions effectives retardées par le premier confinement. Selon Matthieu Verhelle, il s’agit d’un problème de fond, d’un « manque d’action des politiques publiques » dans un contexte où les logements sont considérés comme des « biens de rentabilité et d’investissement ». Selon une étude du gouvernement sur l’accès au logement, au cours des trente dernières années, le prix des « loyers réels progressaient de 30%. Sur la même période, selon les données du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), la proportion de personnes déclarant que leurs dépenses de logement constituent une lourde charge, une très lourde charge, ou une charge à laquelle ils ne peuvent faire face, est passée de 34% à 49% », ce qui illustre l’état du marché locatif.
Compagnons de vie
Au-delà du spectre étudiant, c’est une dimension toute autre que prend ce concept. En effet, au vu de la situation économique actuelle, se loger est une problématique prégnante du fait de la perte d’emploi de personnes n’étant conséquemment plus en capacité à prendre en charge les dépenses liées à leur loyer. Preuve en est, lorsque l’on surfe sur des plateformes de logement contre service telle que « Toit chez moi », une myriade de profils apparaît, à l’instar de demandeurs d’emploi, de familles monoparentales, ou encore de personnes âgées. Les étudiants ne sont pas les seuls demandeurs bien qu’ils représentent une part importante de la demande. Cette formule s’adresse désormais à un panel de profils variés.
Les personnes à la recherche de locataires recherchent des aidants qui, par le biais de leur aide s’insèrent dans leur environnement locatif. Bien plus que de simples arrangements locatifs, ces baux peuvent prendre une ampleur sociologique significative, et ce dans un contexte de confinement prégnant pouvant mener au repli sur soi. La nature-même de cet arrangement peut mener les usagers à devenir de réels compagnons de vie.
Ainsi, bien plus qu’un simple concept, ce mode de logement s’avère d’une réelle utilité sociale, surtout en cette période où l’individualisme tend à prôner.
Maia Khalifa-Chatelain
Crédits photo : Pierre Lassauge
La situation post-déconfinement
« La crise sanitaire ne doit pas devenir une crise sociale » affirmait le gouvernement dans un communiqué de presse du 02/07/2020. Cette volonté gouvernementale n’a pas permis d’éviter la vague d’expulsions effectives qui a suivi le premier déconfinement. En effet, la circulaire du 3 juin 2020 de Julien Denormandie, alors ministre chargé de la Ville et du Logement auprès de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales est dépourvue de valeur normative, par conséquent, elle n’a pas de vertu obligatoire légale ce qui n’a pas empêché la vague d’expulsions suivant la fin du premier confinement. Aux dires de M.Verhelle, ces expulsions ont eu lieu dans de nombreux de départements du nord, du sud de l’est.
Pour en savoir plus sur le mal logement
Un immeuble (ou ses parties communes) peut être considéré comme insalubre dès lors que la santé de ses occupants ou du voisinage est mise en danger par la dangerosité de son état ou ses conditions d’occupation. Ce problème résulte en des conséquences parfois catastrophiques tel que l’effondrement des immeubles situés aux n°63 et n°65, rue d’Aubagne à Marseille le 5 novembre 2018 à 9h provoquant la mort de huit personnes. Cet accident n’est pas anodin puisque deux jours plus tard, mercredi 7 novembre, des immeubles du centre-ville de Charleville-Mézières, rue Bourbon, s’effondrèrent aux alentours de 19 h 20 sans faire de victime cette fois, les habitants ayant pu être évacués une heure plus tôt.
ZOOM sur l'habitat alternatif contre services
Ensemble2générations, ToitChezMoi, CoHomly sont autant de plateformes proposant des offres de logement contre services. Ce type de location alternatif tend à se diversifier. Alors que la norme est de louer une pièce, certains particuliers proposent, eux, le terrain adjacent à leur domicile. En pleine crise sanitaire, cette pratique prend tout son sens. Effectivement, comme lors du premier confinement, les déplacements sont restreints. Ainsi, ceux qui logent, par choix ou par obligation, dans vans, camions et caravanes sont obligés de s’établir en un lieu. Que dit le droit ?
Légalement, il est interdit de rester sur un terrain non constructible plus de 3 mois avec un fourgon aménagé ou un camping-car. Est qualifié de tel, un terrain non viabilisé* ou situé dans une zone à préserver ou à risques (inondation, glissement de terrain, etc.). Depuis la loi Alur** de 2014, les communes françaises recensent les zones favorables à l’établissement d’habitats alternatifs.
Un couple de propriétaire du Lot-et-Garonne a fait le choix d’ouvrir les portes de sa ferme et de mettre à disposition un terrain pourvu d’eau et d’électricité. Pour Katrien et son mari, cela s’est imposé tout naturellement. Cette hospitalité est née de leurs nombreux voyages en Afrique du Nord et en Turquie où ils ont été accueillis à bras ouvert. « La vie est un grand partage » voilà la philosophie qu’ils veulent transmettre à leurs quatre enfants.
Pour la période de confinement, Katrien et son mari hébergent sur leur terrain deux jeunes avec un camion. En échange, les propriétaires attendent qu’ils participent à la vie courante selon leurs envies et leurs capacités. Loin de les dissuader, la situation sanitaire a renforcé leur générosité.
Chloé Pellegrino
* Un terrain est viabilisé lorsqu’il est raccordé aux différents réseaux d’eau, d’électricité, de gaz, de téléphone et d’assainissement.
**loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové
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