Le projet Lil’Pouss’, un tremplin vers un confort sobre mais efficace
Christophe Thomas, fondateur de l’association Les Ch’tites maisons solidaires, concrétise son idée d’écoquartier solidaire, Lil’Pouss. Plaçant la tiny house au cœur du projet, il s’adresse à l’ensemble des citoyens. Un moyen aussi écologique qu’économique de se défaire du sur-confort, pour mêler les savoirs et réintégrer les plus précaires.
Connaissez-vous la légende du colibri ? Dans la jungle amazonienne, les animaux fuient un feu qui se propage. L’audacieux petit colibri reste, puise de l’eau dans un ruisseau et la laisse s’écouler de son bec pour étouffer les flammes. Lorsque le jaguar lui fait remarquer son impuissance et l’inutilité de son geste, il lui rétorque qu’il fait sa part. Le toucan et l’ara le rejoignent, les autres suivent. Si cette histoire vous paraît futile, c’est pourtant la meilleure illustration qu’a trouvée Christophe Thomas pour revenir sur son engagement. Ancien banquier, il a décidé de bousculer son mode de vie pour transformer la société. L’idée paraît ambitieuse, certes, mais son projet a de quoi impressionner.
« Sortir de la nécessité de posséder »
« J’ai rencontré Tony qui est né dans un bidonville à Naples. Il a été élevé par ses grands-parents, il est apatride, il ne peut pas travailler aujourd’hui, il a fait de la prison… On n’est pas tous nés avec le même niveau de confort, et ceux qui en ont, en veulent toujours plus, tandis que ceux qui n’en ont pas restent enlisés dans une situation qui ne leur permet pas de vivre dignement. » Après avoir mis un pied dans le monde associatif aux côtés des populations Roms de Lille, confus de son sur-confort, il souhaite pallier, à son échelle, l’inégalité des chances et réactiver le lien social. Lorsque Tony et ses enfants perdent leur logement, le père Arthur Hervet – proche de la communauté Rom – suggère alors à Christophe d’utiliser sa maison pour accueillir ces réfugiés provisoirement. Une autre idée émerge : « Je vais ouvrir ma maison à des touristes ou voyageurs d’affaires pour financer le loyer de Tony. » Le concept de maisons solidaires était né.
En 2018, lors de la première édition du budget participatif à Lille, il se voit subventionné de 200 000 € pour la construction d’un écoquartier solidaire sur une friche à Saint-Maurice Pellevoisin, quartier résidentiel à deux pas du centre-ville. Cet écoquartier, il l’imagine minimaliste, écologique, mais surtout solidaire. Le principe est simple : permettre à des citoyens de tous horizons de vivre sobrement mais confortablement, et à moindre coût. Il opte pour le concept de tiny houses. « On était sur le problème du bidonville avec Tony : il est illégal, insalubre et il exclut. On a trouvé une solution avec la tiny house. Elle est mobile, elle a l’eau et l’électricité : elle sort de l’insalubrité. » Selon lui, elle répond parfaitement aux besoins du quotidien.
Vivre ensemble pour réinsérer
Créer un quartier avec ce type d’habitat, c’est aussi dans l’air du temps. « Beaucoup rêvent de vivre en tiny house, y’a les gens à la rue mais surtout ceux qui veulent vivre loin du superflu. Les gens commencent à prendre conscience qu’il faut prendre soin de notre planète. On va réunir tout ce monde et faire évoluer leur confort, pour se regarder d’égal à égal. » L’initiative permettrait aux citoyens de s’inspirer mutuellement, des plus aisés aux plus démunis. Christophe parle de talents. « Ceux qui vivent sobrement ont tout à nous apprendre. » Il envisage en fait d’accueillir des foyers précaires comme classiques. Mais il ne s’arrête pas là : il souhaite aussi donner des jobs « écologiquement rentables » aux précaires, notamment dans l’agriculture.
Pour le financement à long terme, tout est déjà réfléchi. Sur le même principe que le Airbnb solidaire, Christophe récolte des fonds grâce aux maisons et chambres louées par des membres de son association. Il a aussi ouvert une cagnotte. Ce qui lui permettra de payer les salaires des précaires qui paieront à leur tour les loyers, fixés à 350 €. « On promeut un habitat participatif, on ne fait pas d’assistanat. On veut qu’ils paient le même loyer, qu’ils soient à égalité, qu’ils aient des droits et des APL. On sera co-citoyens avant tout. » En effet, il considère Lil’Pouss’ comme un tremplin vers le confort. Chaque foyer y restera environ 18 mois. Ce qui laisse suffisamment de temps pour rebondir, s’intégrer, et changer ses habitudes.
Valentine Machut.
Vidéo : Retour sur le concept des Tiny House
Zoom : Sur et mal-logement en France et en chiffres
Quatre millions, c’est le nombre de Français mal logés en France selon la fondation Abbé Pierre. Du SDF au jeune étudiant, les victimes de ce néologisme sont nombreuses et les réalités qui l’entourent bien différentes.
934 000 personnes vivent à l’étroit, c’est-à-dire qu’il leur manque deux pièces par rapport à la norme d’habitation. Difficile donc de s’épanouir lorsque la salle à manger est aussi le bureau, le lit, la salle de bain et la cuisine. A l’inverse, 37% des seniors français vivent dans un logement trop grand, généralement le même que lorsque leurs enfants vivaient encore chez eux. C’est ce que Christophe Thomas appelle du sur-confort, dans lequel il se reconnait lui-même : « Ma maison en étant utilisé 20% du temps, elle permet de financer un abri pour trois familles là où une seule famille aurait tenu 100% du temps. »
Le mal-logement c’est aussi vivre dans des conditions précaires et des logements qui n’en sont pas réellement : mobile-home, cabane, tente… autant de squats urbains « illégaux, insalubres et surtout qui excluent la population », déplore Christophe Thomas. Ces logements temporaires sont souvent enclavés, à l’écart des réseaux de transports, des centres économiques et surtout de la vie sociale. Alors que certains doivent vivre dans des conditions misérables (sans électricité, eau, WC, etc.), le marché de l’immobilier de luxe a, quant à lui, connu une hausse de 17,4 % en 2019.
Être mal-logé c’est parfois ne pas être logé du tout ou par quelqu’un d’autre. C’est le cas de 140 000 sans domiciles fixes en France qui s’additionnent aux 643 000 personnes logées chez des tiers. Cette triste réalité contraste avec le fait que 6 ménages riches sur 10 sont propriétaires (contre un sur 10 chez les plus précaires). Pour pallier ce problème de décalage entre sur et mal logement en France, Christophe Thomas a fondé l’association Les Chtites maisons solidaires qui permet aux personnes disposant d’un grand logement de louer leurs chambres d’amis à des touristes afin d’utiliser les revenus de la location pour aider les personnes mal-logées.
Fanny Lardillier.