Quand la ville devient le support de la liberté artistique
Popularisé dans les années 80, le Street Art a vu éclore des artistes dans le monde entier. Julien Prouveur nous fait découvrir le Collectif Renart. Sous leurs coups de peinture, la région Haut-de-France et plus particulièrement la métropole lilloise retrouvent des couleurs.
Depuis 2012, le Collectif Renart habille les façades urbaines d’œuvres contemporaines suscitant parfois la curiosité des Lillois. Il se compose de quatre artistes professionnels : Lady Alezia, calligraphe et graffeuse ; Dany Boy, graffeur et graphiste ; Logick, spécialiste du figuratif et portrait, et enfin PI80, excellant dans les lettrages, et affichant un petit personnage appelé « Pirsonnage », un peu partout dans la métropole lilloise.
« Le collectif Renart a pour objectif de faciliter l’accès à l’art pour et par tous », explique Julien Prouveur, président du collectif. Gratuites et rendues visibles aux yeux de tous, pas besoin de franchir les portes d’un musée pour s’imprégner d’œuvres contemporaines.
Le collectif multiplie les projets pour rendre l’Art accessible au plus grand nombre. « On réalise des ateliers participatifs ou on va venir faire de l’initiation aux graffitis, aux techniques de pochoirs, de calligraphie, dans les écoles, les collèges, les lycées, les centres sociaux. On propose des visites guidées, où on explique, on donne des anecdotes, on va voir chaque mur en expliquant la démarche de l’artiste », détaille Julien Prouveur. Le Street Art permet en effet de toucher un public extrêmement large regroupant tous les milieux sociaux et tous les âges, allant des enfants aux personnes âgées. Un moyen de confronter à l’art un public n’ayant pas forcément l’habitude de se rendre dans des expositions ou des musées.
Le Collectif organise tous les deux ans la Biennale Internationale d’Art Mural (BIAM), plus grand festival de Street Art de France, couvrant une bonne partie de la région Hauts-de-France (Lille, Hellemmes, Villeneuve d’Ascq…). « L’idée c’est d’inviter des artistes internationaux, nationaux et locaux à faire des œuvres dans l’espace public et faire découvrir au public toute la richesse de l’art mural. »
S’affranchir de toute labélisation
Le Street Art, apparu au début des années 70, prend d’abord la forme de tags et graffitis urbains et voit éclore des artistes tels que Basquiat ou Dondi White. Dans les années 80, la culture du Street Art est popularisée. Cette forme d’art contemporaine suscite curiosité et intérêt auprès de la société : « Il y a une réelle envie et un réel appétit des gens pour cette offre-là. »
Refusant labélisation et classification, le Street Art se veut avant tout multiple, se réinventant de jours en jours. « Pour moi rien ne s’oppose. Un artiste qui fait des super beaux murs a souvent démarré en faisant des tags. Parfois, certains artistes ont une pratique à la fois officielle qui leur permet de payer leur loyer, et une partie officieuse, vandale. Je dirais qu’il y a plusieurs courants et qu’ils font tous partie de la même famille », confie le président du collectif.
Si le Street Art peut être employé comme une forme de protestation ou de revendication sociale, il peut également être utilisé comme un hommage à la liberté d’expression. Un moyen de faire passer des messages, des idées, d’aborder des sujets de société. « Le message qu’on défend c’est la liberté artistique. Ce sont les artistes qui choisissent, s’ils veulent passer un message de manière impactante, subtile ou alors ne pas en passer. Mais pour moi, faire de l’art c’est passer un message en soit. » Le graffiti n’a eu de cesse d’évoluer tout au long de son existence : vandalisme, politique, art, humour, de multiples déclinaisons, pour un seul et unique objectif, la liberté artistique. La perception du public semble évoluer et davantage de gens considèrent le Street Art comme une action positive. Les artistes ont des motivations, des méthodes, des approches, des considérations, et des pratiques totalement différentes, rendant le Street Art extrêmement riche et pluriel.
Rendre l’art accessible à tous, transposer une émotion, une énergie, laisser la trace d’une présence, d’une expérience sont autant de principes portés par le Street Art. « Il y une phrase de Stéphane Hessel qui résume bien la situation actuelle qui dit “Créer c’est résister, résister c’est créer.” Ça nous va bien, surtout en ce moment. » En s’appropriant l’espace urbain, le Street Art devient le marqueur d’une époque, et serait alors un moyen d’ancrer le monde dans sa propre actualité.
Léa Oudoire
ZOOM: Le Graff Vandal
Nous avons interviewé Kobe, ou encore Cobe, c’est selon son envie. Kobe est un artiste lillois qui pratique le graff vandal dans les rues de notre belle ville flamande. Il nous raconte ce qui le pousse à pratiquer cette discipline, peu connue et souvent mal vue. Lui, ce qui le motive, c’est l’ambiance, l’univers qui existe autour du graff vandal. Il vient, tard dans la nuit, et produit à l’aide de ses bombes ce qu’il imagine. « Les odeurs, l’adrénaline, le stress, la satisfaction de laisser son emprunte », c’est ça qui le pousse à recommencer.
Kobe utilise aussi son art pour s’exprimer. Le vandal, « ça sert aussi à passer des messages », avoue-t-il. L’idée d’un enquiquineur s’envole au fur et à mesure que Kobe dévoile ses motivations. Il peut y avoir une réflexion derrière un graff de store de magasin. Kobe aime pousser les gens à réfléchir.
Avec le vandal, Kobe éprouve une « sensation de liberté ». Il exprime ses envies et montre qu’il existe en laissant sa trace à travers ses graffs. Néanmoins, il reconnaît que l’illégalité de la discipline régule le nombre de graffs et de pratiquants pour éviter que les villes ne soient envahies. « Le côté illégal, c’est ça que certains recherchent, et moi j’aime bien », confie tout de même Kobe.
Alors, le graff vandal est une question de volonté personnelle. L’artiste n’est pas là pour embêter, abimer ou amocher une façade, un store ou un mur mais seulement pour exprimer ses envies et ressentir ce que nul autre ne peut lui faire ressentir.
Romain Tible