Les défis des diagnostics cardiovasculaires féminins à cœur ouvert
Dans le château du cœur et des artères, les femmes sont parfois traitées comme des cartes cachées dans un jeu de poker : mal comprises et sous-estimées. Mais voilà qu’à Lille, le Service de Cardiologie pour Femmes fait tomber les masques et les préjugés avec une approche sur mesure qui met le cœur des patientes au cœur des préoccupations médicales.
Dans l’imaginaire collectif, les infarctus ou les maladies cardiovasculaires touchent généralement les hommes d’une cinquantaine d’années, bons vivants et bedonnants. Pourtant, depuis un certain temps, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité féminine. Et si les femmes en meurent, c’est notamment parce qu’il y a une mauvaise détection des symptômes. Effectivement, ces derniers sont différents de ceux des hommes, dits « atypiques ». Près de la moitié des femmes âgées de moins de 55 ans ayant subi un infarctus du myocarde n’ont pas ressenti le symptôme classique des hommes, qui est une douleur soudaine et oppressante dans la poitrine irradiant vers le bras gauche et la mâchoire.
Du côté des patientes autant que des professionnel.les de santé, l’identification est déviée en raison également, de la sous-estimation des risques, de la stigmatisation et de l’inconscience autour des maladies cardiovasculaires féminines, des influences des facteurs hormonaux sur la manifestation des symptômes, ainsi que du biais de genre dans la recherche médicale, qui a historiquement privilégié les hommes. Ces facteurs contribuent à un retard dans le diagnostic et soulignent l’importance de sensibiliser les femmes et les professionnel.les de la santé pour une détection précoce et une prise en charge appropriée.
Agir pour ne pas subir : le Service de Cardiologie pour Femmes à Lille
Historiquement, les recherches et les protocoles de traitement étaient largement basés sur des études menées principalement sur des hommes, laissant ainsi de côté les différences importantes dans la physiologie et les symptômes entres les sexes.
Impulsée par Pr Claire Mounier-Véhier, l’Institut Cœur Poumon du CHU de Lille a lancé une initiative novatrice appelée “Cœur, Artères Femmes”. Son but est de combler ce manque en fournissant des soins spécialisés, en menant des recherches spécifiques aux femmes et en sensibilisant le public aux risques cardiovasculaires féminins. En identifiant les femmes à risque cardiovasculaire, cette expérimentation a permis d’améliorer la détection, le traitement et le contrôle des facteurs de risque. Ce service adopte une démarche aux multiples regards de la santé cardiovasculaire féminine. Les patientes sont prises en charge par une équipe multidisciplinaire composée de cardiologues, de gynécologues, de nutritionnistes, de psychologues et d’autres professionnel.les de la santé. Cette approche holistique permet ainsi de traiter non seulement les aspects physiques des maladies cardiaques, mais aussi les facteurs de risque liés au mode de vie, à la santé mentale et aux hormones.
Jamais plus le cœur des femmes ne s'arrêtera de battre
Le Service de Cardiologie pour Femmes à Lille s’engage aussi dans la recherche. Des études cliniques sont menées pour mieux comprendre les maladies cardiovasculaires chez les femmes et développer de nouvelles approches de traitement. L’engagement du Service de Cardiologie pour Femmes à Lille se poursuit également dans la sensibilisation. Outre la prise en charge immédiate des urgences, le personnel médical envisage également l’avenir et s’efforce de l’améliorer à travers des recherches cliniques et une sensibilisation accrue du public concerné. Cette initiative vise à étendre ces parcours cardio-gynécologiques à d’autres régions françaises en mobilisant un réseau motivé d’acteurs de santé. Une initiative ne laissant pas encore le cœur léger à la société, mais un cœur en forme aux désavantagées de celle-ci.
Elouenn Guitton
En savoir plus : les femmes, pas toutes soignées à la même enseigne
Sur le chemin vers les soins, les obstacles peuvent être nombreux : démarches administratives, prise de rendez-vous, temps d’attente parfois interminable, difficultés financières… Tous ces obstacles ne touchent pas tous les individus de la même façon et créent des inégalités d’accès à la santé. Parmi les personnes les plus touchées par ces inégalités, les femmes précaires se retrouvent très souvent en première ligne.
Aujourd’hui, la majorité des personnes précaires en France sont des femmes : les femmes représentent 57% des bénéficiaires du revenu social d’activité (RSA), 70% des travailleur.euse.s pauvres et 85% des chef.fe.s de familles monoparentales, dont une sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Et être en situation de précarité représente un plus grand risque pour la santé. En effet, les conditions de travail des emplois précaires occupés par les femmes, tels que les emplois d’assistantes maternelles ou d’employées de maison, sont très souvent pénibles et stressantes. Ces conditions exposent les travailleuses à des risques physiques et psychosociaux plus importants que le reste de la population.
Mais en plus d’amener des risques plus importants pour la santé, la précarité constitue un frein pour se faire soigner. Le premier facteur de renoncement aux soins étant les moyens financiers, les femmes précaires ne consultent que très rarement un médecin faisant le choix de se nourrir plutôt que de se soigner. Au-delà du facteur financier, les femmes précaires font face à des problèmes de proximité aux soins. Habitant souvent des territoires mal desservis en transports en commun et où peu de médecins exercent, il apparait compliqué pour elles de consulter des professionnels de santé. En outre, la charge mentale que portent les femmes est un obstacle majeur à l’accès au soin. Il est en effet facile d’imaginer qu’une femme, qui doit porter seule sur ses épaules le poids de son emploi, du bien-être de ses enfants et de la tenue de son ménage, fait passer sa santé en dernier dans la liste de ses priorités. De la sorte, quand la précarité s’ajoute à la condition de femme, se faire soigner en devient compliqué.
Clara Boutrand
Vidéo par Eva Caroul
Photo et infographie par Juliette Jaffrot