Boire la vie en rose : quand l’alcool n’est plus si cool
L’alcoolisme continue de faire couler ses victimes : c’est le constat de Gilles Monsallier, président d’Alcool Assistance de la Mayenne, qui se dédie entièrement à la prévention et l’assistance. Face à l’alcoolisme, le monde associatif reste soudé, notamment chez les Alcooliques Anonymes de Nantes qui mènent un combat contre l’isolement.
Le son des rires étouffés, le tintamarre des verres qui se heurtent, les pintes vidées à tour de bras et l’excès… boire la vie en rose, c’est un mode de vie répandu chez les jeunes. En France, la majorité des étudiants s’adonne aux «vices» de la boisson tous les jeudis soir, un rendez-vous hebdomadaire normalisé pour tous.
«C’est quand les habitudes s’installent, comme celle des jeudis soirs, qu’on rentre dans cette première phase de la dépendance qui est psychologique», explique Gilles Monsallier. «Il y a ensuite le comportement : c’est quand les jeunes rentrent dans la vie active et arrêtent de sortir le jeudi soir que tout se joue, on peut rentrer dans une dépendance physique.» C’est ainsi que certains jeunes peuvent se sentir invisibilisés, quand l’alcoolisme devient tabou et les solutions ne sont pas relayées – à travers Alcool Assistance, Gilles cherche à agir sur un double terrain de prévention et d’accompagnement.
Quand la jeunesse s’accroche à l’ivresse
La branche Couleurs Prévention de Alcool Assistance se focalise sur la prévention auprès des tranches d’âge plus basses. Leur objectif : minimiser le nombre de jeunes qui tombent dans le piège de la normalisation des comportements addictifs. Huits jeudis soir en automne et au printemps, Gilles et d’autres bénévoles les abordent pour en discuter et leur proposer des éthylotests. «Beaucoup de jeunes prennent ça comme de la compétition, ils veulent battre le record d’alcoolémie», dit-il en riant. «Moi, je leur dis à chaque fois que le record c’est zéro». L’association agit auprès des jeunes, mais a du mal à atteindre les plus âgés, qui ont autant besoin de cette prévention, l’alcoolisme les frappant tout particulièrement. La difficulté de cette dépendance réside principalement dans le manque de communication qu’il y a autour, d’où l’importance de lancer des initiatives comme Couleurs Prévention. «On n’est pas là pour convaincre les gens de quelque chose, mais dans l’échange on déclenche des réflexions», explique Gilles. Une conversation, un jeudi soir, qui pourrait changer le cours d’une vie.
La prévention est loin d’être suffisante pour traiter l’alcoolisme dans son ensemble, alors Alcool Assistance propose également un accompagnement au cas par cas, avec des suivis individuels. «Les personnes qui sortent de l’addiction parlent toutes d’un déclic. Pour moi, il y en a plusieurs. On entend des choses que l’on ne veut pas forcément entendre mais qui nous font réfléchir», explique Gilles. «C’est par la réflexion qu’on avance et qu’on chemine». Il a cœur à donner du positif aux personnes atteintes par l’alcoolisme, afin de les aider à en sortir comme lui s’en est sorti. Le contact humain est l’approche privilégiée par les initiatives associatives, et cela se reflète dans d’autres organisations.
SOURCE: santé publique France
L’isolement, le ciment de l’alcoolisme
Rester sobre vingt-quatre heures par vingt-quatre heures, c’est l’objectif des Alcooliques Anonymes : par des petits objectifs quotidiens, ils tentent de vaincre l’alcoolisme à grande échelle. Aux fondements de leurs douze traditions, les membres des Alcooliques Anonymes admettent le fait qu’ils ne guériront jamais de l’alcoolisme, mais peuvent devenir des alcooliques abstinents qui ne boivent plus – mais la tentation, elle, ne disparaîtra jamais. C’est cette approche originale qui leur permet de reprendre possession d’eux-mêmes, afin de sortir de la dépendance.
Le fonctionnement des groupes est très fraternel, une ambiance solaire règne dans la salle de la paroisse de Saint-Clément réservée au groupe du mardi midi de Nantes. Les membres discutent le sourire aux lèvres autour des tables disposées en cercle. «C’est comme une seconde famille pour moi», sourit Yann. Loïc ajoute : «Mes amis m’en parlent et me disent que j’ai de la chance de faire partie d’une communauté». C’est en se retrouvant et en échangeant que les Alcooliques Anonymes luttent contre leurs problèmes personnels : cela leur permet de parer l’isolement, qui est un problème fréquent chez les alcooliques. Tout comme Alcool Assistance, une attention toute particulière est prêtée à la communication : s’enfermer, c’est s’enfoncer dans l’alcoolisme.
Aider les autres pour s’aider soi-même
A chaque réunion, un thème est désigné pour échanger dessus. Ce mardi midi, c’est le service, «une manière de dire bénévolat chez les Alcooliques Anonymes», glisse Thomas. Les membres sont invités à s’exprimer librement, café à la main et bonbons dans l’autre.
«Je pense que le service aide à guérir», lance Thomas. «En aidant les autres, on s’aide soi-même». Les autres acquiescent : être bénévole a aidé les membres à trouver une cause dans laquelle s’investir. «Pour la première fois de ma vie, j’ai trouvé quelque chose qui dépassait ma personne», explique Loïc en se remémorant le sentiment d’importance qu’il avait ressenti à ses premières missions. «C’est hyper responsabilisant, les AA», glisse Fabrice. «Le service et les réunions, ça m’a donné des outils face à mes combats extérieurs et intérieurs. Je ne suis plus démuni, maintenant». C’est en redonnant aux alcooliques un sentiment d’importance, en les laissant se sentir exister, que l’organisation cherche à les aider.
A la remise des médailles de sobriété à la fin de la séance, beaucoup lèvent la main au «plus d’un an». Cependant, certains nouveaux membres du groupe sont toujours plongés jusqu’au cou dans le combat contre l’alcoolisme. C’est le cas de Tanguy, qui explique être sobre depuis neuf jours. Il décrit les rechutes dépressives régulières et son sentiment de culpabilité pour ne jamais tenir sans boire entre les réunions. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’il tient plus d’une semaine.
Des horizons sans le saoul
«La culture de l’alcool dans notre société a beaucoup changé», explique Gilles, qui confie avoir de l’espoir pour l’avenir, «ce qui est important, c’est d’oser se parler, et s’aider». Mais si les initiatives solidaires se multiplient, beaucoup ne traitent que les effets de l’alcoolisme, et les organisations comme Couleurs Prévention peinent à atteindre les concernés qui ne prennent pas au sérieux cette condition. L’alcoolisme souffre d’un problème de visibilité et de prise au sérieux : nombreux sont ceux qui nient son existence, et qui s’enferment dans l’addiction. Si l’interdiction de l’alcool est impossible, il existera toujours des alcooliques – mais des bénévoles comme Gilles ou Thomas sont convaincus qu’en ajoutant leur pierre à l’édifice, ils peuvent en sauver de nombreux.
Hermine de Parcevaux
Photo et illustration Raphaël Liégaux
Pour aller plus loin : "témoignage"
Comme beaucoup, j’ai commencé à boire en soirée. On disait qu’on ne buvait pas, qu’on faisait juste la fête. Mais « la fête », c’était vite toutes les semaines, et puis 2 fois par semaine. J’avais 14 ans, mes parents n’y voyaient pas d’inconvénient, je ramenais des bonnes notes à la maison. Ils savaient que de l’alcool circulait à ces soirées. Eux aussi avaient connu ça. À 15 ans, en dehors de ces soirées, j’étais mal. Je survivais grâce à l’attente du vendredi soir. Et puis je n’arrivais plus à attendre le vendredi. Une fois, en sortant d’une de ces soirées, je suis parti discrètement avec une flasque de vodka. « Ça me fera attendre plus facilement la semaine prochaine » me suis-je dit. Ce fut le début de la fin. À 16 ans, déjà, j’étais plus souvent ivre que sobre. À 16 ans et demi, je réalisais que j’avais un problème, mais pas grave, je pensais pouvoir arrêter à tout moment. Pas besoin d’essayer. L’alcool n’était pas un souci, c’était un tendre ami qui m’aidait à supporter la pression du lycée, de ma mère, de la petite sœur dont l’éducation me revenait, et des coups de mon père. Et puis un matin, j’ai vu celui-ci cacher 2 bières dans son sac en partant. J’ai pensé à la bouteille de vin entière dont il avait besoin pour « se reposer du travail » tous les soirs. Un jour, je serai un époux, un père. Je devenais le mien. J’ai jeté les bouteilles cachées soigneusement dans ma chambre. Il y a eu des hauts et des bas, mais aujourd’hui je suis totalement sobre, depuis 2 ans. Je suis parti de chez mes parents, ma sœur vit avec moi. Je ne serais pas un père comme mon père.
Recueilli par Liyou Giorgis