Avec le rythme effréné du quotidien et une augmentation importante de la précarité en France, les relations sociales et l’épanouissement en communauté sont souvent un aspect de la vie négligé par les citadins. Alors, au restaurant associatif l’Assiette Mijotée, à Wazemmes, Sabine et son équipe de bénévoles proposent d’asseoir tout le monde à la même table pour se retrouver le temps d’un repas.
Entre vieillissement, télétravail, isolement suite à une rupture ou à un arrêt d’activité, nos sociétés modernes sont fortement propices au développement d’un sentiment de solitude. Dans les grandes villes, où l’anonymat et le manque de liens communautaires exacerbent ce phénomène, se sentir seul est, pour beaucoup, devenu une routine. C’est pour lutter contre ce phénomène et mettre sa passion pour la cuisine au service de sa communauté que Sabine Fremeau a ouvert son restaurant associatif en 2023.
« Ici, on réserve l’assiette, pas la table »
Ambiance conviviale, bons plats à petits prix, grandes tablées et service assuré par des bénévoles accueillants, c’est la recette secrète de l’Assiette Mijotée. « Ici, on réserve l’assiette, pas la table », affirme Anne-Marie, une retraitée bénévole du restaurant situé au rez-de-chaussée de la résidence Rive à Wazemmes. L’objectif est de rassembler à de grandes tablées des convives de tous âges et tous horizons pour leur permettre de prendre le temps d’échanger autour d’un bon repas. Du côté des bénévoles, ponctuels ou réguliers, c’est l’opportunité de se construire une vie sociale et de donner du sens à leur quotidien en partageant avec son prochain. « On a besoin de combats, de se sentir utiles », comme l’expliquent Sabine et ses acolytes.

Isolement et précarité, des conditions liées
Cependant, la lutte contre l’isolement se heurte inévitablement à l’obstacle de la précarité. Comme le relevait la Fondation de France en janvier, le taux de solitude est d’autant plus élevé chez les personnes en situation précaire : « 7 % chez les personnes disposant de revenus élevés contre 17 % chez celles disposant de revenus faibles. » Alors, pour que le restaurant reste accessible à tous sans condition, un système d’assiettes suspendues a été mis en place. Les clients peuvent payer un repas qui sera par la suite offert à une personne dans le besoin. L’Assiette Mijotée collabore également avec Les Petits Frères des Pauvres et Magdala pour accueillir des personnes en grande précarité.
« C’est une sacrée opportunité pour le quartier »
En moins de deux ans, cette adresse est devenue un véritable lieu de rendez-vous pour les habitants des alentours, à qui il en manquait cruellement. « C’est une sacrée opportunité pour le quartier, parce qu’il n’y avait rien ici avant », rappelle Anne-Marie. Le manque d’espaces publics et de dynamisme dans les quartiers défavorisés est une problématique également pointée du doigt dans l’étude de la Fondation de France. La création de lieux participatifs et propices au partage, comme l’Assiette Mijotée, est ainsi fortement préconisée pour renforcer la cohésion sociale au sein d’un quartier. Dans le cas du restaurant wazemmois, autant habitués que bénévoles forment une communauté hétérogène mais soudée, composée d’étudiants, de retraités, d’actifs et de familles vivant plus ou moins à proximité du restaurant. Le pari est donc réussi pour Sabine et son équipe.
Rafaele Hortail
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Le point de vue sociologique :
Quand la solitude frappe à la porte, les tiers-lieux ouvrent grand leurs fenêtres et invitent tout le monde à la table. Dans les villes modernes, où l’individualisme et l’isolement croissent, ces espaces offrent une réponse en favorisant les rencontres humaines, quel que soit le statut économique des participants. Ils permettent un ancrage physique et renforcent le sentiment d’appartenance, créant des environnements propices à des activités collectives, souvent participatives, comme la cuisine.
Selon le sociologue américain Ray Oldenburg, les tiers-lieux sont des espaces ouverts à la communauté, où les individus échangent librement ressources, compétences et savoirs. Ils s’inscrivent dans un modèle de développement culturel et social valorisant les initiatives locales plutôt que les institutions classiques. Comme le soulignent Charles Ambroisino et Vincent Guillon dans la revue de L’Observatoire Tiers-lieux : un modèle à suivre ? (2018), ces espaces privilégient l’autonomie collective et la responsabilité citoyenne. Ils deviennent des lieux d’échange où l’initiative des habitants prend le pas sur l’intervention publique.
Ainsi, les tiers-lieux renforcent le lien social grâce à leur atmosphère décontractée et informelle. Ils attirent une grande diversité de personnes – entrepreneurs, étudiants, artistes, etc. – et offrent une combinaison d’usages (co-working, cafés, ateliers) qui favorisent les échanges. Ces espaces encouragent la collaboration, la solidarité et les projets collectifs, permettant à chacun de partager idées et expériences dans un cadre ouvert. Leur flexibilité et leur nature hybride facilitent les rencontres spontanées et créent des liens durables entre les individus.
Ma Laé Ferre
Crédits photos : Timoré Rivet
Secrétaire de rédaction : Victoire Aubert