À Lille, des organisations étudiantes réclament un accès plus égalitaire à l’enseignement supérieur, dénonçant un système qui favorise les plus aisés. Entre occupations et actions collectives, leur mobilisation met en lumière les inégalités d’un système révélant un projet politique bien réel.
« Étudier est un droit, pas un privilège ! » Casquette marron vissée sur une touffe de cheveux blonds, Gauthier, militant à l’UNEF, clame pour un accès plus équitable à l’enseignement supérieur. Accompagné d’une quinzaine de personnes, il pénètre, ce mercredi 15 octobre, dans le siège de l’Université de Lille, animé par une seule revendication : inscrire administrativement les « sans facs ».
Après une lutte de plusieurs mois, cette occupation d’un lieu de pouvoir s’inscrit dans une stratégie soigneusement planifiée. Répondant à un silence criant des autorités universitaires qui perdure depuis deux semaines, cette action vise à poser un ultimatum : « Soit ils inscrivaient les sept personnes restantes, soit nous maintenions notre présence et installions un rapport de force », résume après coup un militant.
Jeunes « sans avenir » à qui l’Université a tourné le dos, les « sans facs » étaient une quarantaine à Lille — uniquement ceux ayant choisi de se mobiliser avec les syndicats —, et plus de 103 000 sur l’ensemble du territoire.
Vidéo issue du compte Instagram de l’Union nationale des étudiants de France
Chacun pour soi
Sous le soleil estival, plusieurs milliers d’adolescents sont donc restés vissés devant leur ordinateur, attendant, jour après jour, l’autorisation d’accéder à une formation post-bac. « J’ai passé tout le mois de juillet à regarder Parcoursup », déplore Élise*, ancienne lycéenne alsacienne.
Loin de la doxa affichée sur le site gouvernemental — « Parcoursup vous permet de choisir les formations qui vous intéressent » —, la plateforme inaugurée en 2018 classe, évalue et refuse à la pelle les bacheliers. « Il m’a fallu trois ans pour entrer en licence de science politique alors que j’avais de bonnes notes », nous confie Adèle, étudiante en deuxième année.
« C'est un véritable tri social »
Présentée non pas comme un « outil de sélection » mais comme un facteur « d’orientation personnalisée », la plateforme étatique creuse en vérité les inégalités sociales. « Les profils les plus touchés par Parcoursup sont les étudiants étrangers et issus de milieux populaires, notamment ceux vivant en périphérie des grandes villes. C’est un véritable tri social », explique Gauthier, membre de l’UNEF.
Pour François Dubet, sociologue spécialiste des inégalités scolaires, « la plateforme prétend objectiver les choix d’orientation par des algorithmes neutres. En réalité, elle amplifie les inégalités en déléguant aux familles la responsabilité d’un “projet d’orientation”. Les plus aisés s’en sortent, les autres doivent se débrouiller. »
Derrière Parcoursup et Mon Master, un projet politique
Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes bacheliers se tournent vers l’enseignement supérieur. Parallèlement, les places dans les universités fondent comme neige au soleil. « À Lille, la licence de sciences politiques n’accepte plus que 40 % des candidatures, sans parler des places en master », se désole une étudiante.
« Avec les réformes menées depuis Macron (et même avant), on met moins d’argent dans les universités alors qu’il en existe », Gauthier
Dans un mandat où les coups budgétaires sont monnaie courante, le choix de limiter le budget alloué à l’éducation n’est pas anodin. « Avec les réformes menées depuis Macron (et même avant), on met moins d’argent dans les universités alors qu’il en existe : 211 milliards pour les entreprises, 413 pour la loi militaire », explique Gauthier.
Aller à l’université, c’est développer son esprit critique, se former et acquérir les clés pour comprendre un système politique inégalitaire et écocide. Rien de surprenant que ce processus ne séduise pas forcément le pouvoir en place…
Pour une université ouverte à tous.tes
Mais il y a du beau dans la lutte. « Au mois d’octobre, une personne étrangère en situation irrégulière, qui a fini par obtenir son inscription, a exigé par exemple que d’autres puissent aussi être inscrits. Cette solidarité constitue le point cardinal de la victoire », continue Gauthier.
Alors que certains pays européens expérimentent des modèles plus inclusifs, la question reste donc entière : quelle université voulons-nous pour demain ?
Texte et photos : Félix Jeanniard
*Le prénom a été modifié
Pour aller plus loin : Derrière l’écran, le plafond adhérent persiste
Dans son livre “Les algorithmes contre la société”, le journaliste spécialiste du numérique Hubert Guillaud est clair, Parcoursup ne va pas disparaître. La plateforme, peut-être, mais pas ce qu’elle représente, une idéologie politique et un outil de sélection qui favorise certains et se construit contre d’autres. Pour les élèves issus de milieux favorisés, Parcoursup n’est qu’une étape à passer. Pour les autres futurs étudiants, issus de zones rurales, de milieux défavorisés, chaque année la plateforme crée des angoisses. Alors que l’on pourrait croire que la création d’un tel algorithme contribue à réduire les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, c’est tout le contraire qui se produit.
Pour Hubert Guillaud ce sont des éléments comme l’origine sociale, les ressources d’information dont dispose un individu ou bien l’accompagnement qu’iel reçoit qui sont invisibilisés par Parcoursup. Et la plate-forme continue de gagner sa bataille idéologique à coût de calculs.
“Une politique élitiste ne se répare pas. Elle nécessite de s’y opposer.”
Il faut repenser les outils d’accès au supérieur, plateforme et algorithme. Pourtant quand l’idéologie dominante reste élitiste et sélective, ce n’est pas suffisant. Créer de meilleures conditions d’accompagnement des lycéens : leur donner les clés nécessaires pour garantir une meilleure orientation et un accès égalitaire aux différentes filières proposées. S’opposer à l’idéologie dominante que représente Parcoursup pour lutter et faire un petit pas vers un accès équitable à l’enseignement supérieur.
Elonë Hasani
Vidéo : Eden Meurice-Cardinal