La nuit n’est plus vraiment la nuit : noyées sous une lueur artificielle, nos villes éclairent le ciel au point de faire disparaître les étoiles. En quelques décennies, des milliers d’entre elles ont disparu du champ de vision de la moitié de l’humanité. Parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme, Greg Boutry revient sur les causes et les multiples conséquences, souvent mésestimées, de ce fléau lumineux.
Greg Boutry est ce qu’on pourrait appeler un astronome amateur : quelqu’un qui consacre son temps libre à scruter le ciel strasbourgeois, guettant la moindre éclaircie pour photographier le cosmos.
Cette passion le place au premier rang pour constater, et subir la pollution lumineuse au quotidien. « Pour l’observation, je suis clairement obligé de m’exiler loin de la ville. Il faut compter au minimum 35 à 40 minutes de route. » La montagne reste la meilleure alternative pour échapper, tant bien que mal, à la lueur urbaine. C’est au Champ du Feu, dans les Vosges, que Greg passe la plupart de ses nuits d’observation.
« On passe de plus de 3000 étoiles dans un ciel sombre à quelques dizaines en ville. »
Greg Boutry
Mais pour l’astrophotographie, c’est une autre histoire : Greg peut rester chez lui. C’est d’ailleurs là que la puissance de la pollution lumineuse se mesure le mieux.
L’astrophotographie est une science complexe dans laquelle il serait fou de s’aventurer ici, mais ce qu’il faut comprendre dans les grandes lignes, c’est que n’importe quelle « photo » de galaxie, nébuleuse ou amas d’étoiles disponible sur internet est en réalité une accumulation de centaines voir de milliers d’images. Ce processus est nécessaire pour révéler des objets célestes invisibles à l’œil nu. Et comme l’explique Greg, la différence est frappante : pour capturer la nébuleuse de la Tarentule depuis Strasbourg, son appareil doit fonctionner près de 13 heures pour accumuler suffisamment d’images, contre 2 h 15 dans les Vosges et à peine 30 minutes sous le ciel pur du désert d’Atacama, au Chili.
« La faune est totalement désorientée et déréglée à cause de l’éclairage public. »
Cependant être freiné dans sa passion n’est rien comparé, selon lui, aux conséquences de la pollution lumineuse sur la biodiversité : « Beaucoup d’insectes se repèrent grâce à la Lune, s’orientent grâce à sa clarté. La faune est totalement désorientée et déréglée à cause de l’éclairage public. C’est pour ça que tous les insectes viennent se coller aux points lumineux la nuit ».
Des initiatives apparaissent toutefois, comme dans la Communauté d’Agglomération de Haguenau (CAH), à quelques kilomètres de Strasbourg, où les lampadaires s’éteignent de minuit à 5 h. Francis Wolf, maire de Mommenheim et vice-président de la CAH, explique qu’une prise de conscience a eu lieu en 2021 avec la flambée du coût de l’énergie. L’extinction nocturne des 36 communes a permis d’économiser 700 000 € sur un an : « Tout notre réseau d’éclairage a été conçu à une époque où l’énergie était abondante et bon marché. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, nous devons nous adapter. »
Greg salue l’initiative, mais nuance : « Pour les passionnés comme moi, c’est génial, ça marche à 100 % ! Mais pour la faune, c’est largement insuffisant. La nuit, au lieu de durer de 18 h à 7 h, ne dure que de minuit à 5 h… Et ça continue a dérégler massivement la faune ». Francis Wolf assure pourtant que la biodiversité est prise en compte : « Nous jouons sur la température des lampadaires, les couleurs chaudes étant plus favorables à la faune. Dès 20 h, l’intensité lumineuse est réduite de 50 %. Évidemment qu’au delà du facteur financier, la biodiversité est un facteur très important ».
Des initiatives pour la biodiversité davantage pensées à travers le prisme économique
Malgré tout, on constate que la prise de conscience évoquée par le maire semble d’abord motivée par la flambée du prix de l’énergie plutôt que par l’urgence écologique. Interrogé sur une idée de Greg d’installer des lampadaires à détecteurs de mouvement, qui s’allumeraient uniquement lorsque quelqu’un passe, Francis Wolf explique que c’est « envisageable », mais que pour l’instant ils n’avaient pas l’argent pour cela. Pourtant, quand il fallait faire des économies d’énergie, il n’a pas fallu bien longtemps à la CAH pour rassembler quelque 4,5 millions d’euros pour installer des leds sur plus de 14 000 points lumineux.
Et quand on s’y penche, les initiatives pour la biodiversité vont certes dans la bonne direction, mais elles restent pensées à travers le prisme économique plus qu’écologique. Car changer la température des lumières ne coûte rien à la CAH et baisser de 50 % la luminosité après 20h leur permet de faire encore plus d’économies. Autrement dit, la préservation de la biodiversité, c’est oui ; mais si cela ne permet pas de faire des économies, c’est « envisageable ».
Si les initiatives locales se multiplient, la pollution lumineuse continue malgré tout de grignoter nos nuits. Le principal obstacle reste souvent financier : moderniser les réseaux, adapter les ampoules, repenser l’éclairage demande des moyens dont les communes ne disposent pas toujours. Redonner sa place à la nuit c’est apprendre à vivre avec elle, et à lever les yeux pour redécouvrir les étoiles.
Simon Metz
Edito. Voir la lumière...au bout de la rue
N’avez-vous jamais eu envie d’acheter une paire de lunettes ou un appartement à 2 heures du matin ? Non ? Personne ? C’est pourtant ce que laisse penser les devantures de certains magasins illuminées en pleine nuit dans le vieux-Lille en ce début de novembre. Pourtant fermées depuis plusieurs heures, quelques vitrines clignotent, comme un sapin de noël au moment des fêtes.
Cet éclairage nocturne des boutiques est pourtant interdit depuis quelques années. La dernière version de la loi sur le sujet est pourtant claire : la publicité lumineuse est interdite entre 1h et 6h du matin, sauf pour les établissements étant ouverts la nuit. Pourtant il n’est pas rare de voir des vitrines illuminées au beau milieu de la nuit dans de nombreuses villes. Des villes qui ont la compétence pour durcir ces règles… et de les alléger. En effet, à l’approche des fêtes de fin d’année, un maire peut suspendre cette interdiction. Allumer son magasin à 3h du matin a pour objectif de donner envie aux passants de revenir acheter le lendemain. Encore et toujours acheter…
Le passage aux éclairages LED n’arrange pas les choses, puisque cela ne coûte quasiment rien aux commerçants, et les potentielles contraventions ne sont elles-mêmes pas dissuasives : 200 euros par jour de non-conformité… Une loi qui relève du bon sens, et qui n’était pour une fois pas du greenwashing, est tout simplement peu voire pas appliquée.
La publicité est déjà assez agressive de jour, pas besoin d’en rajouter la nuit.
Martin Grosdemange