Anne-Catherine Le Roux Sellin et Céline Iltis, directrices d’écoles maternelles bretonne et alsacienne s’investissent à plein temps pour rendre la planète viable en sensibilisant les plus jeunes à l’environnement. Convaincues que si les petits gestes qu’elles apprennent aux enfants n’assurent pas la survie de l’espèce humaine, ils créent la future génération de citoyens qui pourra changer structurellement le monde.
Dans un monde où l’humanité ne survivra pas, « éduquer, c’est un pari sur l’avenir », explique Céline Iltis, directrice-enseignante à l’école maternelle Joséphine Baker. Les enfants apprennent par mimétisme et imprégnation, iels jouent pour reproduire le monde des adultes. Aujourd’hui, la surconsommation et la pollution sont les maîtres mots, le petit bambin innocent s’apprête à devenir l’affreux pollueur de demain. Sauf si, dans son entourage, on lui apprend tôt à économiser l’énergie et préserver son environnement.
Rendre l’enfant acteur
Dans l’école maternelle La Marelle, l’apprentissage est concret : ramassage de déchets, jeux dans la forêt, intervention d’associations, animation autour de la protection de l’environnement, concours de la table avec le moins de gaspillage, pique-nique zéro déchet. Sa directrice, Anne-Catherine Le Roux Sellin, amène sa classe dans un bois proche de l’école pour créer un temps de découverte de la nature, en ramassant les déchets sur le trajet. C’est en rendant les enfants acteurs, qu’iels s’impliquent dans le monde qui les entoure (à ne pas confondre avec les enfants-acteurs qui eux, commencent à polluer bien plus jeunes). Pas de cours théoriques, mais un éveil à la nature qui rend les élèves plus confiants et épanouis.
Pour les deux femmes, l’enseignement est une vocation.Céline raconte : « Être au début de quelque chose est très rassurant, c’est l’idée d’insuffler des choses, de donner une dynamique, d’accompagner, d’être force de proposition, de travailler en équipe et avec les familles. » Leur mission est claire, si toutefois elles décident de l’accepter* : former les générations futures. Même Tom Cruise aurait dû utiliser un vrai cascadeur pour jouer tellement ce rôle est casse-gueule.
Vers une future génération verte
Les effets sont immédiats : à Joséphine Baker, plus aucun élève ne piétine les insectes ou n’arrache les feuilles. Les enfants sont déjà vecteurs d’un changement. Anne-Catherine constate qu’iels reprennent leurs parents quand ils jettent un papier par terre. Les parents se sentent coupables lorsqu’ils savent que leurs progénitures ramassent derrière eux. Et les enseignantes savent qu’éduquer passe d’abord par la maison. Alors, Céline a mis en place les Cafés des parents, un temps informel où parents d’élèves se rejoignent pour échanger et s’informer sur des sujets éducatifs avec des professionnels. Ainsi à la question : comment rendre viable la planète pour quelques années ? Ces discrètes révolutionnaires se sont positionnées. Elles n’apprennent pas simplement aux enfants à ne pas jeter par terre mais plutôt à se battre, à la Erin Brockovich**, contre un monde qui génère ce comportement.
Un État déconnecté de l’état de l’école
Ces femmes sont donc, enseignantes, directrices, citoyennes, éducatrices, animatrices et porteuses d’un message d’espoir sur l’avenir. Leur vocation dépasse largement le cadre scolaire, même si l’éducation nationale prévoit bien une éducation au développement durable. Elles parient sur une forme de mémoire du corps pour que les savoirs acquis restent et transforment « de petits élèves en de beaux adultes ».
La directrice alsacienne nuance : « On ne se pose jamais la question du sens quand on travaille dans une école. Mais, on tire la langue et on y laisse des plumes. » Ce que l’État veut faire de l’école a un impact concret sur son état : moins d’argent pour recruter des professionnels ou lancer des projets. Tout faire soi-même, c’est ne pas être assez nombreux pour être ambitieux et répondre à la hauteur des enjeux. Un état qui semble donc faillir, laissant la mission de la création du monde de demain aux institutrices (mais peut-être pour le meilleur des mondes***).
La stratégie des petits pas ne fonctionne pas en tant que telle. Quand P’tit loup sauve la planète est publié, ce n’est pas tant en fermant le robinet que la survie de l’espèce humaine est assurée. C’est plutôt en insufflant le début d’un changement collectif structurel de la vision de l’environnement qui pourrait bien être à l’origine d’une future génération de révolutionnaires.
* Référence à la série Mission Impossible, avec Tom Cruise comme acteur principal
** Référence à Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh
*** Référence au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley
Lisa Fougeirol Bronner
Réflexion sur… L'empreinte carbone : responsabilité individuelle ou collective ?
La sensibilisation écologique implique nécessairement la notion d’empreinte carbone. Chacun est incité à effectuer ce calcul pour “faire sa part” : manger moins de viande, privilégier le vélo ou s’habiller en friperie. Ces gestes individuels sont valorisés, notamment dans la communication des pouvoirs publics.
Pourtant, modifier ses comportements ne représente pas le même coût pour tous. Dans la métropole lilloise, l’extension du stationnement payant à Fives, quartier populaire, se voulait une mesure écologique, incitant les habitants à prendre les transports en commun. Or, cette mesure a suscité de la frustration des habitants et des élus écologistes et insoumis : pas par une posture “anti-écolos” comme l’ont été dépeints les Gilets jaunes, mais car les résidents, souvent précaires, travaillant dans des zones peu desservies, n’ont pas les moyens de payer le stationnement.
L’empreinte carbone peut aussi être un outil de mise en lumière des inégalités : 10 % des ménages les plus riches émettent 40 tonnes de gaz à effet de serre contre 15 tonnes pour les 10 % les plus précaires. Puis, l’outil permet de saisir le poids majeur des entreprises : Total Energies, BNP Paribas, la Société Générale, et Crédit Agricole ont chacune une empreinte carbone supérieure à celle de la France.
Employer cet outil pour responsabiliser les individus dont la marge d’action est limitée permet de masquer le rôle dominant des grands émetteurs. Pourtant, l’empreinte carbone peut être un levier de justice climatique si elle interroge les grands pollueurs plutôt que les gestes individuels à effets minimes.
Isïa Patie
Les différents modes d'action autour de la crise écologique
Une vidéo réalisée par Gabriel Vourc’h