Le Patchwork : recycler pour vous habiller
7 500 litres : c’est le volume d’eau nécessaire pour fabriquer un jean en coton. À l’ère du réchauffement climatique et de la surconsommation, Antoine Gatie a décidé de fonder l’association « alter vêtements » : une alternative écologique aux géants de l’industrie textile. Rencontre avec un artiste passionné.
La casquette vissée sur la tête et le sourire aux lèvres, Antoine Gatie, 31 ans, nous accueille dans sa nouvelle friperie à Tourcoing. Un projet, encore un, qui s’est réalisé. Aujourd’hui, il vit de ses partenariats et a de nombreuses ambitions. Pourtant, Antoine est loin d’avoir eu un destin tout tracé. D’abord entraîneur de basket, il devient cuisinier après avoir obtenu un CAP. Sa volonté : exercer un métier manuel et culturel. Il s’avère que cet admirateur de Michael Jordan adore aussi depuis tout petit faire les boutiques et choisir ses vêtements. À 25 ans, il décide donc de tout plaquer et se remet à rêver. Son projet : créer ses propres vêtements. En regardant dans son dressing, Antoine s’aperçoit qu’il ne porte que la moitié de ses vêtements. Ne voulant pas les jeter, il décide de leur donner une seconde vie. Il prend alors l’initiative de les découper puis de les assembler pour en faire un nouvel objet : c’est ce qu’on appelle le patchwork. Très rapidement, il prend goût à la création et fonde sa propre association. « Recycler », c’est le maître mot dans son atelier.
La tortue VS le crocodile
« La tortue est un animal qui avance doucement mais sûrement. Elle est sage, honnête, sincère et inoffensive. Tout le contraire du crocodile de Lacoste qui mange tout sur son passage. » La tortue, c’est le logo qu’a choisi Antoine pour alter vêtements. Elle caractérise son travail simple et méticuleux mais aussi sa façon de faire qui est écoresponsable et inoffensive pour la planète. « Le patchwork ressemble à une carapace de tortue. Rien n’est plus naturel. » Le but du jeune créateur est d’avoir un impact écologique minime. Il part du principe qu’être économe, c’est économiser les ressources de la planète ce qui amène forcément à être écologique. En recyclant, il ne produit aucune émission de CO2 alors que l’industrie textile est la deuxième industrie la plus polluante au monde après celle du pétrole.
Travailler local : une solution éco-responsable
Le mode de production d’Antoine s’oppose à celui des grandes marques telles que Zara, Primark ou encore Lacoste. « Ces machines à cash sont même capables de surproduire de la matière pour gagner 1 centime. » Autrement dit, plus la commande est importante, plus le coût de production pour ces grandes entreprises est faible mais plus les émissions de CO2 sont élevées. Les transports pour effectuer les allers-retours entre l’Asie (le plus souvent la Chine) et l’Europe polluent énormément. Il faut également souligner que seuls 30% des vêtements mis sur le marché en France sont recyclés. « Le volume de matière jetée est ahurissant. C’est pourquoi j’ai décidé avec Decathlon de récupérer certains de leurs vêtements. Cela leur revient aussi à moins cher. C’est du donnant-donnant. » Deux à trois fois par mois, il se rend au siège du groupe de grande distribution de sport à Villeneuve-d’Ascq, pour récupérer les chutes et fins de rouleaux.
Originaire de Lesquin, le Nordiste est aujourd’hui bénévole au sein de son association « alter vêtements ». Il souhaite créer un jour sa propre marque de vêtements made in France et aimerait pouvoir travailler avec un employé. « Si ça marche, je ferai tout en local. C’est un rêve de gosse. »
« Je n’ai pas envie de changer le monde, j’ai envie de créer le mien. »
Selon Antoine, le patchwork est un véritable art. La récupération de la matière permet de libre cours à la créativité dans le choix des couleurs, de la taille des morceaux, de la pièce finale ou encore du style. Chaque objet conçu est unique. « J’ai cette envie de faire par moi-même, de créer une pièce unique, de la rareté. Au fond, c’est comme un peintre qui crée une œuvre d’art. » En effet, aucune réalisation ne peut être reproduite à l’identique. L’artiste veut redonner de la valeur à ce métier où il faut être patient. Pour réaliser une casquette, par exemple, il lui faut douze heures de travail. Il distingue d’ailleurs son métier avec celui d’un créateur où l’inventivité est limitée par le choix et la commande de chaque pièce. Antoine, lui, a une grande quantité de tissu à disposition et n’a pas de méthodologie fixe : il travaille « à l’instinct ».
Paul Nölp
Zoom sur…
… La casquette, création fétiche d’Antoine Gatie
Au XVe siècle en Angleterre, le port de la casquette est obligatoire pour tous les hommes, à l’exception des aristocrates. Comme un attribut, elle permet ensuite d’identifier les différents corps de métier. Les marins se distinguent vite avec leur béret bleu, tout comme les policiers et leur képi. Si on s’intéresse à l’histoire du sport, les casquettes sont omniprésentes. On a tous en tête ces images d’archives du Tour de France sur lesquelles les coureurs arborent une casquette très souple à courte visière qu’ils doivent redresser régulièrement. La casquette se construit ainsi une réputation de symbole au fil des siècles. Aujourd’hui, elle est celui des nouvelles générations.
Antoine Gatie a visiblement compris l’ampleur de la signification de ce couvre-chef car la casquette est au cœur de ses réalisations. À travers elles, l’artiste essaye de transmettre un message de renouvellement, d’écologie. Un message qui s’adresse vraisemblablement à la société de surconsommation. Comme si ses convictions le portaient, son imagination est débordante. Ses confections sont le fruit d’un dialogue entre l’objet et ses mains. Antoine ne fait pas de dessin au préalable par peur de freiner sa créativité. Il laisse s’exprimer ses sentiments afin d’harmoniser au mieux couleurs et formes. Toutes ses créations sont exposées sur son compte Instagram.
Martin Cribier