À vos plats ! La cuisine pour recréer du lien

by Léa Rochefort
Les « petites cantines » apportent un brin d’humanisme et de saveurs à notre quotidien. Un bon moyen de vaincre l’individualisme et le culte de l’épanouissement personnel, qui prennent de plus en plus de place en France.

En 2015, Libération publiait un article dénonçant une campagne de pub menée par la marque Adidas. Celle-ci prônait justement l’individualisme en nous invitant à « semer le désordre » et « imposer ses règles ». Alors j’ai cherché d’autres pubs de la marque, pour les comparer, et j’en ai trouvé une particulièrement choquante : « There will be haters ».

Dans cette pub, la mise en scène excessive de soi, de ses victoires et de son argent jouée par des sportifs admirés tels que Karim Benzema et James Rodrigues est à mon sens, un bon exemple d’individualisme. Mais le plus choquant est ce qui est dit dans cette vidéo : « iIs détestent le fait de ne pas y arriver, ils détestent te voir enchaîner tous les buts, et toutes les filles. »

Il est urgent de se rendre compte des conséquences négatives que l’individualisme engendre, plus particulièrement sur la tranche 15/25 ans, encore influençable par ce culte du succès, de l’argent et de la gloire. On est constamment en concurrence avec les autres : par les réseaux sociaux comme Instagram, qui prône le culte du corps et de la vie de rêve, ou bien par Snapchat où l’on montre que ce qu’on veut (un concert, un voyage, une jolie photo de soi prise avec le bon angle et un rayon de soleil qui éclaircit les yeux). La montée en flèche du succès des réseaux sociaux a considérablement accéléré ce processus d’individualisme. 

Individualisation et conséquences

Dans notre quotidien, on ne fait plus forcément l’effort de dire bonjour, de prendre le temps de discuter avec nos voisins ou nos collègues, ou de les encourager quand ils ont un projet en tête. Séverin Müller, professeur de sociologie à l’Université de Lille, explique les causes de l’individualisme : « On est aujourd’hui dans une société occidentale, qui cultive la performance et l’esprit de concurrence, le collectif a été brisé. » Cet esprit élitiste qui a déjà largement pris sa place dans notre pays, s’exprime surtout selon le sociologue « dans deux secteurs : l’entreprise et le scolaire. […] La compétition individuelle est de plus en plus ancrée […] il faut être le meilleur. » 

Et bien que la solitude puisse être un choix, elle est dans la plupart des cas subie. Cette tendance à oublier les autres, peut alors provoquer de lourds dégâts psychologiques. Ne plus coopérer avec d’autres, engendre une perte de confiance en soi, puisqu’on n’est plus encouragé ou valorisé par quelqu’un d’autre. Il y a également l’isolement, qui produit de la tristesse, de la colère, parfois même de la jalousie, et dans d’autres cas plus lourds, la dépression.

Les cantines solidaires pour recréer du lien

Cuisine des Petites cantines © Anaëlle Hadj-Rabah

Pour remédier à ce problème, c’est à Lyon, la capitale gastronomique, que s’est développé le concept des Petites cantines. Avec déjà quatre cantines ouvertes et trois en projet, les Petites cantines ont leur succès. Leur secret : faire participer qui veut à la cuisine, et manger ensemble à moindre frais. Renouer le lien qui s’est perdu entre les individus au fil du temps et promouvoir l’alimentation durable, c’est là toute l’idée du projet. 

Le but étant de recréer des liens, ceux qui s’y rendent savent que les petites cantines sont avant tout des lieux d’aide et de partage. On s’y retrouve pour l’amour de la cuisine, des belles histoires et de l’apprentissage, mais surtout pour le plaisir du partage humain.

Romane Chevaliez

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Les Petites cantines ont ouvert le 2 octobre 2018 à Croix (59). Ce restaurant qui ne ressemble à aucun autre propose à ceux qui le veulent de venir cuisiner et déguster un repas avec les habitants de son quartier ou avec des inconnus. Participatives et conviviales, les Petites cantines veulent recréer du lien social.

Enzo Maubert

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3 Questions à ...

Raymond Barbry

Raymond Barbry est d’abord enseignant avant de former quelques années plus tard les professeurs des écoles sur le bien-être de leurs élèves.

Vous formez des enseignants au bien-être des élèves, quel est l’objectif de ces interventions ?

« Si l’on veut que la société aille mieux, il faut passer par les enfants. Il s’agit de développer le bien-être dès le plus jeune âge pour assurer une société plus équilibrée, bienveillante et garantir le lien social, aujourd’hui sensible. Les enseignants sont formés à repenser l’emploi du temps des élèves et incités à préconiser des temps calmes et de méditation. Il s’agit aussi de développer l’intériorité de l’enfant pour favoriser l’échange avec l’autre et développer des sentiments comme l’empathie ».

À votre avis, comment expliquer l’émergence d’une société plus individualiste ?

« Nous sommes dans une société hyper-moderne et hyper-compétitive. Par exemple, dans le système scolaire, les élèves font face à une pression, celle de la réussite. Il faut être le meilleur partout. De manière plus générale, les grèves et le mouvement des gilets jaunes résultent d’une crise sociale, politique et d’une volonté à modifier ce système. »

Pensez-vous que cette société « hyper moderne et compétitive » peut s’essouffler avec le temps ?
« Pour contrer cette “hyper société”, il y a encore du travail. Nous avons besoin de modèles véhiculant des valeurs. Je pense notamment à Simone Veil, elle incarnait à la fois la bienveillance, l’humanité, la justesse et la rigueur. En 2050, nous serons 9 milliards et il est nécessaire de trouver des solutions pour vivre ensemble. Mais, déjà, l’émergence d’associations locales semble être une première issue nécessaire au bon fonctionnement d’une société. »

Léa Aujal

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