Comment l’Université de Lille tente d’abolir les tabous autour des règles
D’après une idée de sa vice-présidente Sandrine Rousseau, l’Université de Lille a mis en place la distribution de protections périodiques. Un pas vers la fin des tabous qui collent encore aux règles aujourd’hui.
Pour Sandrine Rousseau : « Il n’y a pas plus pur que des règles puisque c’est ce qui nous permet de créer la vie. » Pourtant, les tabous qui les entourent persistent et elles sont encore souvent jugées sales et dégoûtantes.
Les publicitaires les remplacent par un liquide bleu : les règles, cet écoulement de sang répugnant qu’il ne faut pas montrer.
Pour en parler, il faut utiliser un vocabulaire imagé. En témoignent les nombreuses expressions employées pour les qualifier. « Je suis indisposée », « J’ai mes ragnagnas », « Les Anglais ont débarqué »… Tant d’euphémismes qui contribuent à éviter de prononcer un mot qui semble interdit. Ces procédés de déguisement d’idées poussent les femmes à se cacher de leurs règles. Ce n’est pas anodin si la plupart d’entre elles dissimulent leurs protections lorsqu’elles vont aux toilettes.
Les règles, on ne veut pas les voir, ni en entendre parler
Venir à bout des tabous
Si les menstruations sont décriées, cela ne date pas d’hier : anthropologues et historiens s’accordent à dire que les idées reçues qui subsistent de nos jours résultent de siècles d’Histoire…
En effet, depuis qu’Homo Sapiens pense, l’idée selon laquelle le saignement menstruel est signe de faiblesse et d’impureté s’est enracinée. Rétrospective :
Pendant la Préhistoire, les femmes étaient écartées de la chasse car leur sang « portait malheur ». Plus tard, les trois religions monothéistes nourrirent cette idée en encourageant l’isolement pendant les règles. Puis, les scientifiques du Moyen-âge assénèrent que celles-ci provoquaient la lèpre et faisaient pourrir les aliments, idées qui furent longtemps relatées. Finalement, ce n’est qu’en 1930 que le lien entre règles et ovulation fut établit.
Des années de rumeurs en tout genre qui ont largement contribué à diaboliser les règles.
« Soyons fières d’être des femmes »
Face aux tabous, l’éducation semble être la solution. Informer, expliquer, ne plus cacher. Et pourquoi pas démocratiser l’accès aux protections périodiques ?
À l’Université de Lille, trente mille kits de protections hygiéniques ont été distribués aux étudiantes en janvier. Serviettes, cups et tampons gratuits, l’initiative vient de Mme Rousseau. « Je me suis inspirée de l’Ecosse où les protections hygiéniques sont fournies gratuitement aux étudiantes. C’est un bien de première nécessité et je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas en accès libre. »
Cette action est sans aucun doute un pas vers l’abolition des tabous. « C’était une distribution dans les halls des grands campus parce que je voulais qu’il n’y ait pas de honte à aller prendre son paquet de serviettes, parce qu’il n’y a pas de honte à avoir des règles. » : reconnaître que les femmes ont des règles pour leur permettre de mieux les assumer. La distribution sera renouvelée au moins une fois par an. L’idée est d’inciter d’autres universités à suivre le mouvement, ce qui fonctionne déjà, d’après Sandrine Rousseau, qui a eu des contacts avec plusieurs facultés. L’initiative se propage, renversant quelques tabous sur son passage.
Un projet qui semble donc bien parti pour faire bouger les choses, et ce pour le plus grand plaisir de la gente féminine, parce que les règles, c’est la vie. « Donc allez, soyons fières d’être des femmes. »
Flavie Legrain
© Raphaëlle Nowé
Des actions pour les menstruations : lutter contre la précarité menstruelle
Selon l’INED (Institut National d’Etudes Démographiques), à environ 13 ans, la moitié des adolescentes ont déjà eu leurs règles et ces dernières durent souvent jusqu’à la cinquantaine. Si se procurer des protections représente un coût non-négligeable qui se compte en milliers d’euros pour toute une vie ; imaginez alors quand un produit de première nécessité devient un luxe.
Pour ces femmes qui connaissent la précarité menstruelle : règles riment souvent avec tabous. On parle de précarité menstruelle lorsqu’une femme n’arrive pas à payer chaque mois le nombre suffisant de protections dont elle a besoin. Un véritable fléau qui touche les femmes sans-abri, les étudiantes mais aussi les femmes ayant des troubles de menstruation « certaines clientes, à cause de sensibilités, sont obligées de prendre des serviettes en coton en pharmacie et elles sont plus chères que la moyenne, alors ce n’est pas évident pour elles de venir en acheter tous les mois (…) parfois elles pratiquent même le « flux instinctif libre » pour ne pas acheter de serviettes » raconte Audrey, préparatrice en pharmacie.
A Lille, il existe des associations qui viennent en aide à ces femmes en laissant dans les foyers des « serviettes périodiques en libre-service ou dans les chambres. Un dispositif qui s’est rendu possible grâce aux achats en gros lots et à prix dérisoires de protections invendues auprès d’associations » explique Madame Verhaeghe, contactée par le biais de l’ABEJ, une association lilloise d’aide aux sans-abris. Une façon pour les femmes, de ne plus avoir besoin de se protéger avec du papier toilette et de ne pas avoir honte de leur féminité.