Imaginez vingt-trois hectares abandonnés, non aménagés, en plein cœur d’une des grandes villes les moins vertes de France. Impensable. Surtout en ces temps d’urbanisation effrénée. Pourtant, à Lille, la friche Saint-Sauveur perdure depuis une quinzaine d’années, coincée entre le parc J.-B. Lebas et le métro Porte de Valenciennes.
En quête d’espaces verts à combler par des nouveaux logements, la MEL (Métropole Européenne de Lille) a jeté son dévolu sur Saint-Sauveur. Depuis 2008, un projet d’aménagement fait le tour des cabinets d’architectes. Au programme, 300 000 m2 à bâtir, pour accueillir à terme 2 500 logements, 35 000 m2 de bureaux et 20 000 m2 de commerces. Et, pour couronner le tout, une piscine olympique et sa fosse de plongée en lieu et place de l’actuel parc du Belvédère.
Bien sûr, cet étalage de béton ne fait pas l’unanimité. Avec seulement 15 m2 d’espace vert par habitant, trois fois moins que la moyenne nationale, Lille est plus densément bétonnée que Paris. La ville est aussi la plus polluée de France aux particules fines, et la mauvaise qualité de l’air cause environ 1 700 morts prématurées chaque année.
Devant un tel constat, et tenant compte du désastre environnemental actuel, des habitants ont décidé de se réunir contre ce grand projet d’urbanisme. C’est ainsi qu’est née l’association P.A.R.C Saint-Sauveur (pour Protection, Aménagement, Réappropriation Collective), regroupant divers associations et collectifs lillois en faveur d’une réappropriation collective du lieu. Leur combat est d’abord administratif et juridique. Avec l’appui de plusieurs avocats spécialistes en droit de l’environnement, elles et ils ont déposé un recours devant le tribunal administratif pour mettre en lumière les irrégularités du dossier.
Le 5 octobre 2018, le tribunal leur donne gain de cause et la déclaration d’intérêt général est suspendue, temporairement. Victoire en demi-teinte, puisque les pelleteuses ont tout de même attaqué la friche en décembre dernier. « On a en face de nous des gens qui n’écoutent absolument rien, explique Bénédicte Vidaillet, présidente de l’association P.A.R.C., des gens qui font la stratégie de la terre brûlée. Ils ont défriché, ils ont voté mi-décembre la construction de la piscine. Pour dire : “Nous on avance, comme ça on sera prêt“. Ce qui est très grave d’un point de vue démocratique. Ils n’ont pas du tout l’intention de changer leurs projets. »
Depuis 2013, la mairie organise toutes sortes de « consultations citoyennes » pour tenter d’asseoir le bien-fondé démocratique de son projet, tout en restant sourde aux nombreuses oppositions. À l’enquête publique d’intérêt général, plus de 500 avis négatifs (sur 600) sont recensés. Et on compte près de 12 500 signatures à la pétition « Stop ! On étouffe, sauvons Saint-Sauveur, Lille a besoin de respirer ! ».
« On considère que la friche est la dernière opportunité qui reste, dans Lille, pour prendre en compte les enjeux écologiques et climatiques actuels, se justifie Bénédicte Vidaillet. Cet espace doit servir à préparer l’avenir. C’est un territoire à aménager dans l’idée post-carbone. Il faut penser la friche comme un territoire de l’après. »
Dans cette optique de développement pour les générations futures, l’association P.A.R.C a organisé le samedi 26 janvier une journée de mobilisation à la friche :
La friche Saint-Sauveur pourrait être non seulement un poumon vert nécessaire à la ville de Lille, mais également un espace d’expérimentations sociales et environnementales dont nous avons, collectivement, tous besoin.
Arthur Caillaud
Pour aller plus loin :
Alors que P.A.R.C. mène son combat pour préserver le dernier espoir vert de Lille, le Quartier Libre des Lentillères a réussi à cultiver une friche abandonnée depuis plus de 10 ans. Nous nous dirigeons tout droit dans la capitale bourguignonne : Dijon. Proche du collège des Lentillères, le Potager Collectif des Lentillères alias Pot’Col’Le est né sous les yeux des collégiens en 2010. Rien, ni même la pression de la municipalité et son projet immobilier, ne pouvaient arrêter les Dijonnais dans leur volonté de créer un potager de 10 hectares, ouvert à tous. Contre vents et marrées, les jardiniers dijonnais, débutants ou amateurs, ont mis la main à la patte en défrichant et réinstaurant un terrain cultivable. Une ZAD se crée en 2012 et débutent les manifestations, les coups de gueule à la télévision, etc. Cette ZAD, appelée aujourd’hui Quartier Libre des Lentillères, réunit amis et familles pour organiser des repas, des ateliers de jardinages et même un marché alimentaire à but non lucratif pour sensibiliser la population. Mais le combat n’est pas encore fini, certes la municipalité a reconnu le terrain comme autonome, elle n’en a pas moins décidé de stopper le projet et a commencé à envahir une partie de la parcelle en vue de faire un « éco quartier ». Les militants assurent qu’ils continueront la résistance tout en partageant la passion du jardinage.
Esther Lelievre
Pour plus d’informations : lentilleres.potager.org