Le chansigne, plus qu’un outil de sensibilisation
Collégiens conquis, au concert de chansigne @Eve Baranski
Le lundi 4 février, un concert singulier a lieu à l’Aéronef, à Lille. Sur scène, deux artistes s’expriment dans deux langues différentes. Une prestation franco-anglaise ? Non : un show d’une heure intégralement réalisé en français et langue des signes.
Depuis 3 ans, Erremsi et de Laëty organisent des événements bilingues dans le but de rassembler tous les publics. Cet après-midi-là, l’auditoire est composé d’élèves entendants, sourds ou allophones principalement venus de 10 collèges du département. Si seule une minorité signe, tous partagent le spectacle, agitant les mains en l’air afin d’applaudir. Pour eux, cette représentation est l’aboutissement d’un projet de sensibilisation, « Silence, on signe ! », débuté plus tôt dans l’année.
Sensibiliser pour favoriser l’intégration
À l’origine de ce projet, un constat : de plus en plus d’enfants sourds sont en « intégration » scolaire dans des collèges classiques, mais sans que des moyens suffisants ne soient pour autant mis en place pour assurer leur intégration sociale. Interrogée, Laëty déplore le fait que la langue des signes ne soit que si peu enseignée : « En 2019, c’est quand même incroyable que l’on n’ait pas un atelier par an dans chaque classe de chaque école. » En partenariat avec l’association Signe de Sens, Laëty est en effet intervenue dans chacun des établissements scolaires partenaires pour y mener des ateliers sur le chansigne. Pour les organisateurs du projet, « le chansigne devient, dans ce cadre, un moyen ludique de sensibiliser les jeunes et la façon la plus adaptée pour partager ensemble une aventure, pour créer du lien ».
Le chansigne, un art méconnu
Mais qu’est-ce que le chansigne ? « Le chansigne, c’est travailler une expression en langue des signes sur une musique avec un rythme. » Les collégiens ont donc eu une initiation à cette discipline méconnue, et sont montés sur scène pour une démonstration devant leurs camarades. Le concert vient non seulement conclure la journée en beauté, mais est également un moment d’échange entre les artistes engagés et leur public. Il allie morceaux interprétés dans les deux langues, reprise de refrains en langue des signes par le public et même un morceau uniquement signé. Les adolescent semblent conquis.
Il faut dire que l’initiative a le vent en poupe : pour cette deuxième édition, le nombre de collèges impliqués a doublé. Le concert, qui l’année dernière avait eu lieu dans la petite salle de l’Aéronef, s’est cette fois déroulé sur la scène principale. Pour Erremsi, cette mise en avant du handicap est essentielle : « Quand on fait des trucs devant des gamins, on est là pour leur faire une ouverture d’esprit. (…) On est là pour défendre nos cultures : le rap, la langue des signes, le chansigne, ce qu’on est… On revendique le droit à la différence. »
Le concert est fini, les techniciens commencent à ranger le matériel. Les élèves prennent quelques dernières photos avec les deux compères avant de repartir dans un calme relatif. Mission accomplie.
Zoom sur…
Interprétation en langue des signes, un métier pour l’intégration et l’accessibilité
Pénélope Houwenaghel est interprète en langue des signes, métier très enrichissant et pourtant pas très développé. En effet, en France, il y a environ 450 à 500 interprètes lorsque, dans la population, quelque 300 000 sourds sont recensés. Leur travail est d’intervenir lorsque deux personnes qui ne parlent pas la même langue veulent entrer en communication. Pour Pénélope, l’interprète est un passeur. Il doit exprimer le sens d’un discours dans une autre langue. Sans rien modifier, sans donner un avis et en gardant une stricte confidentialité. Les interprètes en langue des signes sont à la fois bilingues et biculturels, car les personnes sourdes signantes forment une communauté linguistique et culturelle.
« Ce métier permet un apprentissage permanent dans des champs de connaissance très variés », raconte Pénélope. Les interprètes sont au service de plusieurs institutions comme des entreprises privées et publiques, des centres de formation et des universités, des lieux patrimoniaux et culturels. Ce métier ouvre des vastes possibilités dans plusieurs domaines. Et c’est, selon Pénélope, ce qui le rend aussi passionnant. « Dans ce métier, j’apprécie particulièrement le contact humain, la variété des missions qui me sont confiées et le travail en équipe. J’ai la chance de travailler au sein d’une SCOP, société coopérative, et de pouvoir compter sur des collègues de confiance. »
Toutefois, pour Pénélope, en termes d’inclusion, il reste encore beaucoup à faire. « L’accès à la culture, à l’éducation, à la santé, à l’emploi ou encore à l’information en langue des signes reste très partiel en France. En revanche, de nombreuses associations militent pour une meilleure accessibilité en langue des signes à l’échelle nationale, européenne et mondiale (EUD, FNSF, WFD, etc.). Le prochain congrès de la Fédération Mondiale des Sourds se tiendra à Paris du 23 au 27 juillet 2019 et abordera ces questions. »
Manuela Mancheno