« Moulins dans ta fac », ou comment réunir un quartier divisé

by Martin Cribier

Lundi 14 octobre, aux alentours de midi, un fond de musique égaye la cour de l’université de Lille 2, au cœur de Moulins. Le forum des associations vient lancer l’événement « Moulins dans ta fac ». Julien O’Miel (assesseur à la vie étudiante et maître de conférences) revient sur les ambitions du projet : « On a voulu créer des espaces de discussions entre les habitants de Moulins et les étudiants notamment via les associations. L’objectif pour nous c’est d’ouvrir un sillon, que les assos et les étudiants se motivent et qu’à terme on ne soit plus obligé d’organiser cet événement. »

Julien O’Miel et Thomas Chevallier (co-organisateur qui étudie le quartier pour sa thèse) ont fait un constat sans appel : les étudiants et les habitants du quartier se croisent quotidiennement mais ne se rencontrent pas.

« On a voulu créer des espaces de discussions entre les habitants de Moulins et les étudiants notamment via les associations ».

Julien O’Miel, co-organisateur de l’évènement

Moulins, du gauche au droit, un documentaire réalisé par Yohan Laffort, a été diffusé lors du ciné-débat organisé le jeudi 17 octobre, dans un des amphithéâtres de l’université. L’histoire de l’implantation de la faculté vient éclairer la distance entre étudiants et habitants soulignée par les organisateurs.

« Un vrai petit Germinal »

Jusque dans les années 80 au centre du faubourg de Lille (ancien surnom de Moulins), dans le bâtiment de la faculté, se tenait une filature. 1200 personnes venaient quotidiennement travailler le lin. « Il faisait 56 degrés à l’intérieur. C’était un métier pénible, un vrai petit Germinal », se remémorent deux fileuses tout juste retraitées au moment des faits. Puis la crise est arrivée et la municipalité a décidé d’une transformation du quartier. Au revoir la filature, bonjour l’université de Droit.

La filature a été déplacée dans le Bassin Minier puis 4 ans plus tard délocalisée en Turquie. Les promoteurs immobiliers se sont rués à l’assaut des terrains de Moulins et les habitants ont été contraints à partir. Un habitant raconte cette transformation : « Moulins c’était un quartier de prolos, ça change. On est envahi [par les étudiants]. On veut faire de Lille une ville clean (= propre en anglais) comme dans 1984 d’Orwell. Certes il fallait assainir mais on n’a pas considéré l’humain. » Un commerçant installé place Déliot est lui aussi pessimiste quant à l’installation de la faculté : « On va disparaître parce qu’avec la fac ils auront tout à l’intérieur : la restauration, les loisirs, etc. Ils ne vont pas venir chez nous, en général c’est des fils à papa. »

Film moulins dans ta fac

Les étudiants ainsi que les habitants du quartier était conviés à la projection

Des fils à papa

De leur côté les étudiants en droit ne voyaient pas non plus tous d’un bon œil le déplacement de leur filière de Villeneuve d’Ascq (Campus Pont de Bois) vers Moulins. Certains se disent alors « inquiets de se retrouver dans la jungle » et décident de monter un comité contre le déménagement. Ils publient en Une de leur journal « MOULINS C’EST LE BRONX ». Un clivage apparaît entre étudiants, car d’autres disent qu’« il ne faut pas exacerber les tensions si l’on veut que ça marche. Le problème c’est qu’avec le développement du syndrome sécuritaire on risque de faire une fac blockhaus ».

« En 2002, il y avait encore des mamans qui passaient avec leurs cabas et des enfants qui jouaient au foot. »

Le projet architectural de la faculté a été pensé dans le but d’ouvrir la fac sur le quartier avec quatre entrées positionnées de façon à garder les anciennes rues. Cependant au fur et à mesure des années la faculté s’est refermée. Julien O’Miel se souvient que lors de son arrivée en tant qu’étudiant en 2002, deux entrées étaient déjà fermées mais qu’« il y avait encore des mamans qui passaient avec leur cabas et des enfants qui jouaient au foot ». Puis à partir de 2015 en raison de Vigipirate et des problèmes de stupéfiants, une porte a été provisoirement fermée et n’a jamais été rouverte depuis. Des contrôles de carte étudiante et des fouilles ont été rajoutées à l’unique entrée Place Déliot.

Un étudiant de l’époque pensait que l’implantation de l’université ne devait pas enlever l’âme du quartier :  « L’âme du quartier c’est la filature ». 25 ans plus tard Nathalie Ethuin, maître de conférences, se dit « frappée par l’extrême clairvoyance des commerçants et des habitants de Moulins sur l’avenir de leur quartier ».

Jean-Deny Maudet

Photos Le Châtillon


ZOOM SUR…

« Bienvenue en France » : un programme d’exclusion

S’il est difficile pour les habitants de Moulins d’entrer dans la faculté de Lille, qu’en est-il pour les étudiants étrangers ?

2 770 euros : c’est la somme que doit payer un étudiant extra-européen pour une année de licence depuis la rentrée 2019. Avant, le montant s’élevait à 170 euros. Pour un étudiant en master, les frais d’inscription grimpent jusqu’à 3 770 euros contre 243 euros pour un étudiant européen. « Bienvenue en France », un programme basé sur le modèle américain, a de quoi faire grincer des dents.

Pourtant, lorsqu’on se rend sur le site du Ministère de l’Enseignement et de la Recherche et de l’Innovation, l’Etat se vante d’être le 4e pays d’accueil d’étudiants étrangers et souhaite en attirer un demi-million en 2027. Le titre du texte ? « Bienvenue en France » : la stratégie d’attractivité pour étudiants internationaux. En réalité, c’est tout le contraire. Les inscriptions d’étudiants extra-européens pour la rentrée 2019 ont diminué de 30% à 50% selon les universités françaises. Fabien Desage, maître de conférences à l’université de Lille, expliquait : « Les étudiants étrangers vont aller dans une université privée plus prestigieuse qui va leur donner un titre plus valorisant pour la suite. À Lille, on n’est pas Harvard. Ça va jouer sur notre attractivité. »

Et encore, ce constat n’est valable que pour les étudiants qui en ont les moyens. Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas se permettre de payer leurs études, alors même que le coût de la vie en France est déjà élevé. Une véritable sélection sociale est désormais mise en place à l’entrée des universités. Les étudiants africains en sont les principales victimes et particulièrement les Algériens, les Tunisiens et les Marocains. Qu’en est-il de la mixité, de l’intégration et de l’égalité ?

PauL Nölp

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