Les Arabengers à la rescousse de la déculturation
Posted On 3 mars 2024
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C’est dans le quartier de Barbès, au FGO Barbara que la hafla (qui signifie fête en arabe) s’est déroulée. Un quartier du 18e arrondissement de Paris historiquement connu pour sa diversité culturelle, et ce n’est pas sans la contribution d’un certain tonton du bled qui faisait ses courses à Tati. Impossible de déterminer la tranche d’âge des gens présents dans la salle, mais quand retentissent des titres comme Un gaou à Oran de Magic System et Mohamed Lamine, ou encore Dana Dana de Cheb Rayan et Rima, ce qui est certain c’est que tout le monde danse. Le pouvoir fédérateur de la musique parvient à se faire ressentir.
Arabengers, c’est un collectif créé en 2022 par huit femmes originaires du Moyen-Orient et du Maghreb. Ensemble, elles organisent des évènements intergénérationnels, festifs, culturels et intellectuels, qui mettent à l’honneur ces régions du monde. Arabengers c’est la contraction du mot “arabe” et des “Avengers”. Le jeu de mot renvoie directement à la volonté héroïque d’être les actrices de leurs histoires. Les évènements qu’elles organisent permettent de lutter contre le phénomène de déculturation, la perte de l’identité culturelle traditionnelle d’un groupe ethnique au profit d’une nouvelle culture. Pour l’AfriCAN Hafla, les Arabengers se réunissent en musique pour assurer la transmission de leur héritage.
La CAN, c’est l’occasion de raviver la flamme nationaliste qui sommeil dans le cœur des immigrés africains résidant en France. Mais le football ça ne parle pas à tout le monde. La musique, ça touche déjà un peu plus de personnes ! Toute occasion est bonne pour faire la fête et célébrer la richesse culturelle de l’Afrique.
Le collectif Arabengers, c’est aussi la volonté de faire participer des acteurs originaires d’Afrique et du Moyen-Orient, pour faire des ponts interculturels. L’occasion de se réapproprier des classiques, de les moderniser, pour remédier à l’effacement et l’oubli . L’incarnation de la fameuse devise “par nous et pour nous”. Les artistes montrent aux publics qu’ils sont les garants de leurs propres récits et de leur culture. Un message d’espoir et d’ambition, qui fait écho aux paroles de l’artiste franco-algérien Danyl présent ce soir-là : “Est-ce qu’on est sorti d’la merde ? Mazel !” (mazel signifie “pas encore” en arabe), ou encore “Bientôt on dira de moi que j’suis un nouveau riche (…) Maman quittera son taf à plein temps”. Mazel et Nouveau Riche sont des titres issus de son projet : Khedma 2, sorti le 12 décembre 2023. Khedma signifie “travail” en arabe. Danyl sait que tout le monde ne comprendra pas sa musique, que tout le monde en France ne se retrouvera pas dans ce message, mais justement il parle à sa génération, à sa communauté, et c’est l’essentiel.
Ce genre d’événements permet à des jeunes issues de l’immigration, à la double culture, de renouer avec une part de leur identité culturelle. C’est le cas de Soanne, étudiante en droit de 19 ans, née en France d’une mère roumaine et d’un père marocain. Nous avons échangé avec elle lors d’un entretien. Venue de Nantes spécialement pour l’AfriCAN Hafla, elle explique : “J’ai pensé que ça pouvait être super sympa de se retrouver dans une soirée organisée par des femmes, il fallait donner de la force.” Soutenir l’initiative d’un collectif féminin avec lequel elle partage une origine est une nécessité pour Soanne. Elle ajoute : “Une part de moi y est allée pour renouer avec ce côté marocain dont je ne suis pas très proche en temps normal.” Renouer avec ses racines culturelles est primordial pour construire son identité et trouver sa place dans la société. Cela favorise une certaine affirmation de soi, qui permet de se réapproprier ses capacités d’agir dans l’espace.
“C’était assez communautaire et je pense que c’est ce que j’ai aimé. Il n’y avait pas de honte, on pouvait danser sans se faire juger, les gens se sentaient libres. Ça fait du bien de se sentir entourée de personnes comme nous”, déclare Soanne. Le besoin d’un retour au collectif qui traduit la volonté de ne pas se laisser emporter par un système qui déstructure et individualise.
Maryam JALLOUL
Le vendredi 26 janvier 2024, Danyl, un artiste franco-algérien, était sur la scène de l’AfriCAN Hafla. La révélation musicale de 2023 combine diverses influences telles que le rap et la pop, en utilisant des mélodies directement issues du Maghreb. Quelques petits mots d’arabe se nichent dans ses paroles, car il aime mélanger les styles et les langues. Il représente cette jeunesse hybride, influencée par des souvenirs d’ici et d’ailleurs. Le rappeur algérois Tif s’est également imposé dans le paysage rap en 2023 avec son album 1.6 qui a été publié en mars dernier, ainsi qu’une réédition live de l’album qui a été publiée en octobre. La recette est identique : une pincée de France, une pincée d’Algérie, une cuillère à soupe d’amour, cent grammes de mélancolie et une grosse poignée d’authenticité.
Grâce à la nouveauté qu’ils apportent, ces artistes s’établissent dans le paysage rap français. Même si le rappeur Rim K et le groupe 113 ont amené ce vent orientale dans le rap dans les années 2000, il a progressivement disparu en raison du manque de représentants communautaires et identitaires. Par conséquent, une base de fans se construit autour d’un message d’appartenance, et de compréhension des peines, des joies, des inquiétudes, et des questions politiques et sociales. Il est vrai que le rap est en train de se démocratiser et de devenir un style musical apprécié par toutes les classes sociales. Cependant, les classes populaires, en particulier celles issues de l’immigration, l’écoutent d’abord. C’est aussi ça un artiste, rendre compte de phénomènes sociaux réels à travers son vécu et ses sentiments, pour partager avec le public son héritage historique et culturel.
Maléna HAYNAU
vidéo réalisée par Gabrielle MORANTIN
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