Episcea : l’épicerie solidaire qui lutte contre la précarité étudiante
Depuis deux ans, Episcea permet aux étudiants en situation de précarité de se nourrir à bas coût. Rares sont les produits qui dépassent l’euro dans ce local installé dans la faculté de pharmacie.
Chaque année ou presque, le thème de la précarité étudiante refait surface dans le débat public. À tel point que l’on a fini par le considérer comme un marronnier. Pourtant, près de 20 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté et près de 40 % des étudiants bénéficient d’au moins une aide directe. Un chiffre qui n’a cessé de progresser depuis la crise de 2008. On ne le répétera pas assez, la précarité tue : depuis novembre dernier, Anas est entre la vie et la mort après s’être immolé devant le CROUS de Lyon alors qu’on lui avait retiré sa bourse. Déjà en 2015, un jeune homme avait été retrouvé mort de faim dans son logement universitaire.
Ce décès a alerté la Fédération des Associations Étudiantes de Lille qui a fondé Episcea il y a trois ans. L’objectif est de fournir des denrées alimentaires ainsi que des vêtements et de la papeterie aux étudiants étant dans l’incapacité financière de faire leurs courses en grande surface.
Une épicerie par les étudiants, pour les étudiants
L’association, dépendante de la FAEL, est présidée depuis octobre dernier par Zoé et Estelle, étudiantes en orthophonie. Le bureau est épaulé par deux services civiques, Inès et Allison. À raison de 26 heures par semaine, elles sont chargées et tenir l’épicerie, de gérer les stocks et le budget et d’assister aux commissions.
L’accès à l’épicerie se fait au moyen d’un dossier à remplir avec la différence entre les revenus et les dépenses mensuelles, le « reste à vivre ». Après étude en commission, l’étudiant bénéficie d’un budget mensuel qu’il peut utiliser à sa guise au sein de l’épicerie, pour une durée de trois mois renouvelables. À l’heure actuelle, Episcea compte 21 bénéficiaires et peut en accueillir jusqu’à 50.
« Le but est que ce soit une période où [l’étudiant] puisse économiser un peu d’argent et trouver une solution durable avec les assistantes sociales »
L’Université et la grande distribution s’engagent à leurs côtés
L’origine majeure des produits résulte des subventions. L’épicerie reçoit des fonds de l’Université et de l’Association Nationale de Développement des Épiceries Solidaires (ANDES). Ils bénéficient également d’un partenariat avec une grande enseigne de supermarchés bio qui leur permet de récupérer des produits invendus mais non périmés.
Enfin, Episcea a organisé en décembre dernier une grande collecte d’un mois au sein d’un supermarché. Cette collecte a permis de récolter près de 2800 euros de dons en nature.
Le succès de cette opération porte à croire qu’elle sera renouvelée cette année.
Des ateliers pour sociabiliser
Outre l’épicerie en elle-même, l’association Episcea organise au moins une fois par mois des ateliers, cette fois-ci ouverts à tous et gratuits. Il peut s’agir d’ateliers pour fabriquer son propre savon, des ateliers sportifs ou bien encore des dégustations de bière. L’idée ici est de sociabiliser et de rencontrer d’autres étudiants, parce que la précarité conduit souvent à l’isolement.
Afin de faciliter leur fonctionnement, le bureau prévoit d’acheter un véhicule électrique. Ils sont aussi à la recherche de partenaires réguliers, notamment des grandes surfaces, afin de récupérer des invendus.
Crédit photo : Marie Hostinská
Maxime Serre
ZOOM : La prise en compte de la précarité étudiante
Episcea est un projet innovant dans le domaine des ressources étudiantes. Il n’est pas unique sur Lille et encore moins en France, et pourtant très peu d’étudiants ont accès à ces structures.
Pourquoi ? Tout d’abord, parce que ces enseignes solidaires manquent souvent de visibilité, de communication autours de leurs projets. C’est parce qu’elles sont si peu relayées par les médias et par les organisations qui les entourent qu’elles n’attirent que peu d’étudiants. Ensuite, il y a le fait qu’elles sont sélectives, que tout le monde n’a pas accès à leur service. Il faut justifier d’une condition sociale particulière, d’un manque de budget. Pourtant, la situation de biens des étudiants mériterait plus d’attention de la part de l’Etat et ensuite un reconsidération des critères de « précarité » par les associations solidaires.
20% des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté en France, mais cela ne signifie pas que les 80% restants vivent de fastes vies. Au contraire, s’ils n’entrent pas dans les critères de pauvreté, ils n’ont pas pour autant moins besoin d’aide. Ils ont accès à moins d’aides financières, moins de services d’aides (comme les épiceries solidaires) et doivent se débrouiller avec le peu qu’ils ont, sans pour autant qu’on les mette dans la case « pauvre ». Alors il serait peut-être intéressant de se pencher sur la question de l’égalité, certes, mais aussi de l’équité, qui permettrait justement d’atteindre une moyenne plus égalitaire en ce qui concerne la vie étudiante. On aimerait tous pouvoir s’acheter à la semaine des produits alimentaires pour moins de 15€, précaires comme aisés, aidés comme lésés.
Mathilde Lopinski