La voiture divise le centre-ville lillois
Le déconfinement a été une occasion de repenser son environnement, notamment en se ré-appropriant les espaces urbains. Dans un centre-ville saturé de voitures, le débat autour de la piétonisation de l’hyper-centre Lillois, sujet de discorde des locaux, a été relancé.
La ville de Lille a créé de nombreux programmes visant à tester de nouvelles manières de penser l’espace public. En effet, au déconfinement, plus de 23 rues notables sont ainsi devenues piétonnes afin de mieux respecter les gestes barrières liés à la pandémie de Covid-19. Ne serait-ce pas là l’occasion de diminuer le nombre de voitures dans le centre-ville lillois ?
En effet les voitures occupent une place prépondérante dans nos villes. Selon les Échos, seulement 2 à 3 % des rues des grandes agglomérations françaises sont piétonnes. Il contraste avec un sondage récent publié par l’Ifop* qui affirme que plus de deux tiers des citadins souhaiteraient une réduction de la place de l’automobile.
Un sujet politique séduisant
« C’est un sujet qui monte en puissance dans l’agenda politique, et c’est une bonne chose en termes de pollution, d’émissions de gaz à effet de serre, de bruit, de santé publique et aussi d’attractivité du territoire », affirme Elodie Barbier Trauchessec, animatrice mobilités émergentes à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
En effet, lors des précédentes élections municipales, la piétonisation du centre-ville fut l’objet de vifs débats, notamment entre EELV et la candidate sortante Martine Aubry. Au programme, les verts proposent des zones à trafic limité ainsi que des rues spécifiques pour les bus. L’équipe municipale, réélue de justesse, propose elle aussi des mesures similaires, avec la création de nombreux parcs et zones vertes d’ici la fin du mandat. D’autres projets, comme la généralisation de crit’air, vignettes sur les voitures ainsi que la gratuité des transports publics sont également au programme du mandat actuel. Mais d’autres options sont à l’étude, plus contraignantes, comme la fermeture des usines polluantes et l’isolation des logements sinistrés.
Plus qu’un projet, une nécessité
Hélas, cet engouement politique répond également à une autre réalité bien connue des Hauts-de-France : la pollution de l’air. Elle tue plus de 2000 personnes chaque année au sein même de la Métropole lilloise. La ville, située au confluent de la mégalopole Européenne n’échappe pas au fléau. Selon une étude conjointe de Greenpeace et Réseau Action Climat menée en 2019, sur les 12 plus grandes villes Françaises, Lille est classée 7e en terme d’action contre la pollution de l’air. De quoi remettre en question la ligne verte des pouvoirs publics.
De nombreuses contradictions
Les critiques ne visent en effet pas seulement la pollution de l’air. Les projets d’aménagements urbains, comme celui de la réhabilitation de la gare Saint Sauveur, sont ciblés également. Selon Michel Eyraud, chercheur dans le domaine de l’environnement, « le projet immobilier Saint Sauveur priverait la ville de Lille d’un poumon vert bénéfique pour le climat, la biodiversité et la santé des habitants ».
Il en va de même pour le flambant neuf centre commercial « Lillenium », mal desservi par les transports en commun et accessible principalement en voiture. Un clivage entre économie de croissance et politique environnementale durable qui ne se résume pas à la seule Métropole lilloise, mais bien à toutes les échelles confondues.
*« Étude Ifop pour Caroom, réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 14 au 16 septembre 2020 auprès d’un échantillon de 1017 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine, et d’un échantillon de 1031 personnes, représentatif de la population vivant dans les villes de 100 000 habitants et plus.»
Guillaume Triaire
ZOOM
Les villes pionnières dans la piétonnisation des centre-villes
La diminution des voitures en centre-ville est l’un des projets des villes motivées par l’écologie. L’économiste G. Cookson conclut que les embouteillages américains provoquent une perte de 280 milliards d’euros de PIB (prix du temps et de la surconsommation en carburant). Montpellier est l’une des villes pionnières en France, interdisant les automobilistes dans son centre. On y compte 34 kilomètres de voies piétonnes. La ville s’appuie sur un important réseau de transport en commun. Les commerçants voient d’un bon œil ce changement. Ils accueillent une nouvelle clientèle tout en assurant une continuité commerciale. Les acheteurs ne sont pas contraints par le temps.
Des parkings sont présents tout autour de la ville, afin de permettre aux habitants des alentours d’accéder au centre. Le consommateur économise de l’argent et du temps agrandissant ainsi son budget loisirs. D’autres villes sont également engagées dans ce projet, comme Nancy qui a testé pendant un week-end (19-20 septembre) la piétonnisation de son centre. Les commerçants et Nancéiens sont ressortis très satisfaits de l’expérience et seraient prêt à interdire définitivement la voiture.
Pour les constructeurs automobiles, la perte de bénéfice s’avère réelle, mais certains, comme Ford, proposent des alternatives. Au salon de Détroit, l’entreprise a proposé une gamme de minibus et de vélos siglés Ford. Le constructeur se démarque de ses homologues et accompagne l’initiative des villes plus vertes. Ils doivent se moderniser pour répondre aux questions actuelles. Économiquement, les villes sans voiture semblent viables si d’autres alternatives sont parallèlement mises en place : taxi-vélo, gyropode, trottinette électrique…
Julie Subitte