L’aquaponie, une agriculture en collaboration avec les poissons
C’est à Santes, en périphérie de Lille que l’on peut retrouver un chantier atypique : l’Écho Village. Cette ferme aquaponique imaginée par Guillaume Dekonink est une alternative prometteuse face à l’agriculture conventionnelle, sujet de controverse.
Déjà utilisée il y a de cela plus de 2500 ans par les agriculteurs chinois, la technique de l’aquaponie permettait un meilleur rendement de la production de riz. Aujourd’hui, cette technique de production alliant maraîchage et pisciculture hors sol prend son essor. Elle offre par ailleurs, une solution aux problèmes environnementaux engendrés par l’agriculture conventionnelle.
Un système eco-friendly
La France fait partie des trois plus gros consommateurs de pesticides en Europe. Cela peut s’expliquer par une prédominance du modèle productiviste mis en place dans les années 70 avec l’industrialisation agricole. Ce système n’est toutefois pas compatible avec la préservation de l’environnement. L’agriculture conventionnelle est entre autre responsable de l’appauvrissement des sols et de la biodiversité : « Le retournement des sols ainsi que l’utilisation de pesticides détruisent la flore microbienne », explique Guillaume Dekonink. Face à un processus de production devenu controversé, ce dernier, via son projet de l’Écho-Village souhaite répondre à ces problématiques.
Dans sa ferme, le cycle de production se base sur un circuit fermé : l’élevage des poissons et des végétaux sont interdépendants. Ce sont les déjections des poissons qui servent d’engrais aux plantes tandis que les racines des plantes purifient l’eau des poissons, via la phytoépuration. Ce système ne requiert donc pas l’utilisation d’engrais chimiques et de produits phytosanitaires car les plantes sont constamment nourries par un apport de nitrate produit grâce aux déjections de poissons. Dans cette ferme verticale, il y a quatre bassins dédiés à l’élevage de truites arc-en-ciel et au milieu de chacun, un pvc de pression qui récupère les excréments par flottaison. En terme de production 270 variétés légumes seront proposés autant aux particuliers qu’aux restaurateurs locaux en mai 2021 lors de la fin des travaux : « L’idée est de travailler des variétés que les maraîchers classiques ne font et par conséquent de s’inscrire dans un marché de niche. »
Répondre aux problèmes socio-économiques
C’est en se penchant sur les problèmes du territoire de la cinquième circonscription qui s’étend de Lesquin à La Bassée que l’entrepreneur a compris que l’autonomie alimentaire y est un enjeu primordial dans un contexte de crise pour les agriculteurs. En partant de ce constat, il a voulu « s’engager dans un projet d’ampleur, résiliant et favorisant la transition écologique au sein du territoire ». Selon lui, le système d’aquaponie permet de produire 5 à 6 récoltes par an contre 1 à 2 récoltes pour le maraîchage traditionnel. Cela permettrait aux agriculteurs d’obtenir une rémunération décente.
En effet, les prix fixés par les centrales d’achats sont bas et les agriculteurs se retrouvent à vendre parfois à perte. Ils pourraient alors ne plus dépendre des aides de la Politique agricole commune (PAC) qui les forcent à toujours plus investir et s’endetter. L’Écho-Village apparaît comme une alternative viable car ce dernier s’émancipe des circuits de vente habituels : les produits sont vendus directement aux particuliers (sous forme de paniers hebdomadaires) ou à des restaurateurs locaux. Dans un territoire fortement touché par le chômage Guillaume Dekoninck souhaite aussi « pérenniser des emplois sur place ». Pour cela, il prévoit la création d’un laboratoire pour la transformation des truites arc-en-ciel pour la consommation. En partenariat avec des établissements pénitenciers pour mineurs, il souhaite également « permettre à des prisonniers de ré-envisager des solutions d’avenir dans leur insertion professionnel » à travers des stages au sein de la ferme.
Elise Taristas
ZOOM
Une alternative viable en milieu urbain ?
Aujourd’hui, l’aquaponie est présentée comme efficace en milieu urbain. Si elle possède de nombreuses qualités pour épauler les cultures traditionnelles, ses limites en ville restent nombreuses. Il est pour l’heure difficile d’obtenir de réelles études concernant l’énergie nécessaire à ces installations. Mais une chose est sûre, l’utilisation énergétique est conséquente. Même si les économies en eau sont importantes, les systèmes de pompes à eau et de soufflage installés dans les bassins sont très consommateurs. L’éclairage est également à prendre en compte. Celui-ci n’est pas toujours optimal dans les milieux urbains.
Le coût de départ d’un tel système est conséquent, quelle qu’en soit la taille. Selon une étude réalisée par le CIRAD, l’aquaponie n’est rentable que sur des exploitations à grande échelle. En plus de la difficulté à choisir les bons éléments pour se lancer, avoir une exploitation de petite taille n’est pas forcément utile.
Dans une autre mesure, lancer une exploitation à grande échelle de ce type en milieu urbain peut s’avérer difficile. Construire une serre coûte dix fois plus cher en ville que dans un milieu rural. Les citadins ne sont pas pas habitués à voir ce genre d’installation et encore moins prêts à consommer des produits issus de l’aquaponie. En juillet 2018, la ferme aquaponique UF002 de Schilde installée à la Haye au Pays-Bas a déposé le bilan. Inaugurée deux ans plus tôt sur un toit de la ville, la serre avait coûtée près de trois milliards d’euros. Les raisons de cet échec sont simples. Des prix de vente élevés et une production inefficace.
Si l’aquaponie est efficace en milieu rural, des efforts restent à faire avant de pouvoir en dire de même en milieu urbain.
Arthur Picard
Justine ROY