Jeunesse : Comment se faire une place au sein de la vie politique ?
En 2018, selon le baromètre annuel du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), 58% des jeunes déclaraient ne pas s’intéresser à la politique. Ce chiffre témoigne d’un certain décalage entre le monde politique d’aujourd’hui et la jeunesse, qui a du mal à s’approprier une parole politique concrète.
La jeunesse est une période de construction identitaire. Politiquement, c’est un temps où commencent à fleurir des idées et des engagements politiques clairs. On constate néanmoins de nos jours que les jeunes en âge de voter participent moins aux élections nationales que les générations précédentes (comme celles de leurs parents par exemple) et semblent davantage subir les décisions politiques plutôt que d’y prendre part.
Un clash de génération
Anne Muxel, sociologue et politologue française, constatait dans un article pour la revue Projet que l’importance accordée au vote pour influencer les décisions politiques n’était pas la même selon les générations. Elle expliquait que les jeunes accordaient moins d’importance au vote que les générations précédentes. Cela explique leur fort taux d’abstention aux dernières élections présidentielles : moins d’un électeur sur cinq âgé de moins de 29 ans avait voté à tous les tours des élections en 2017 (selon l’Insee). Pourtant, le vote est un outil qui permet d’exprimer une parole politique.
En réalité, il y a ce sentiment chez les jeunes que leurs aînés leur laissent un monde dégradé par rapport à celui dont ils avaient hérité et ont donc peu d’espoir face au monde qui les entoure. Le vote ne leur semble pas être un outil de démocratie représentative assez fort car même avec celui-ci, ils ne se sentent toujours pas représentés à travers une offre politique qui n’a jamais vraiment évolué. Une étude de l’AFEV (Association de la Fondation étudiante pour la Ville) sur la perception de la politique par la jeunesse française démontre qu’ils ne sont que 7% à s’investir dans un parti et 5% dans un syndicat. Les jeunes s’impliquent donc moins dans la politique institutionnelle mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne souhaitent pas s’investir dans la vie de la cité.
Les instances de démocratie participatives
L’étude de l’AFEV montre aussi qu’il y a « une demande [de la part des jeunes] de vrais outils pour s’engager davantage ». Pour les aider à s’approprier une parole politique, certaines villes ont choisi de consulter la jeunesse. A Lille, il existe depuis 2009 le Conseil Lillois de la Jeunesse (CLJ). Nous sommes allés à la rencontre de son coordinateur, Benjamin, et de trois jeunes membres du conseil : Benoît, Edouard et Margaux.
Le CLJ permet de recueillir l’avis des jeunes, de 16 à 25 ans, sur les politiques municipales de la ville. Cette structure leur donne la possibilité d’agir de manière concrète en leur permettant de monter des actions et de porter des projets sur des sujets qui les touchent comme la solidarité, l’environnement, la discrimination et la culture. Elle permet pour la mairie d’avoir un échange régulier avec eux. Benjamin, précise que les jeunes ont « une totale liberté » sur les projets qu’ils souhaitent créer : « On n’a pas d’intervention, on n’est pas là pour dire ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire. » Il rajoute que le but est de « créer du lien avec les élus ».
De nombreux projets ont été mis en place l’année dernière comme la rédaction d’un manifeste de la jeunesse sur la thématique environnementale, d’une campagne de communication sur l’égalité des chances ou encore l’organisation d’une collecte de protection périodiques pour femmes dans le cadre du groupe « Solidarité ». Les actions du CLJ ne sont pas sans impacts sur les politiques de la ville : les jeunes influencent les politiques municipales en donnant leur avis et en soumettant des propositions. Par exemple, ils ont eu une influence sur l’écriture de l’Agenda des solutions sur « ce que veulent les jeunes pour Demain » qui a été adopté par le Conseil Municipal en 2016.
Qu’en pensent les principaux intéressés ?
Edouard, étudiant en master de science politique, explique que le CLJ leur permet de faire quelque chose de « concret » sur la scène politique municipale et leur fait développer des compétences en la matière. Margaux nous précise que son objectif était de devenir une citoyenne active : « On a l’opportunité d’être dans une ville qui donne la parole, il faut la saisir. » Elle ajoute que les jeunes ne sont pas attachés politiquement à la mairie, mais qu’ils dépendent d’elle au niveau du budget.
Le budget accordé au CLJ tourne autour des 10 000 euros par an
Benoît, étudiant en Droit et Economie participant une nouvelle fois au CLJ cette année, admet toutefois qu’il y a des points à améliorer, notamment au niveau de la communication. Il regrette qu’il n’y ait pas assez de promotion faite au niveau des jeunes pour les encourager à s’engager au sein du CLJ. Beaucoup de jeunes Lillois ne sont même pas informés de l’existence du CLJ…
La jeunesse n’est pas totalement désinvestie de la vie publique et semblent avoir de réelles préoccupations politiques. Leur engagement paraît passer par des actions précises sur des thématiques précises. Leur voix ne passe plus forcément par le vote, mais par d’autres modes d’engagements qui sont plus axés sur des actions concrètes. Les instances de démocratie délibératives (comme le CLJ) semblent, entre autres, pouvoir aider les jeunes à s’investir et à se réapproprier la parole politique, pour un champ politique plus représentatif de leurs idées.
Lucie Ferré
ZOOM: Internet, la solution pour que les jeunes entrent dans le débat politique ?
Internet, outil prisé des nouvelles générations, représente pour beaucoup le moyen d’accentuer leur participation dans l’espace public et de revitaliser nos systèmes politiques. Outils dont les codes et usages sont parfaitement maitrisés par les jeunes, les blogs, forums et réseaux sociaux permettent à tous de prendre la parole dans l’espace public. La virtualité et l’anonymat des profils abolissent les discriminations et contribuent à l’élaboration d’un projet idéal moderne d’une démocratie participative et délibérative.
Nul ne peut contester qu’internet facilite l’expression individuelle : permet-il pour autant la construction d’une pensée collective ? Les utilisateurs superposent leurs opinions sans forcément s’écouter. Les insultes ou querelles virtuelles, appelées « flame wars », sont bien plus nombreuses et virulentes que dans l’espace public « réel ». De plus, les algorithmes des réseaux sociaux créent des bulles hermétiques voire radicales qui ne rassemblent que des utilisateurs partageant le même point de vue, comme l’a démontré le journal Spicee.
Cependant, au vu du très faible taux de participation aux élections des jeunes (moins d’un électeur sur cinq âgé de moins de 29 ans a voté à tous les tours des élections présidentielles en 2017) et du potentiel immense d’Internet, le projet d’une démocratie participative s’appuyant sur le numérique paraît séduisant. Reste aux politiques de valoriser des projets encadrés de débats politiques à échelle nationale ou locale en vue de promouvoir la prise de parole de tous et notamment celle des jeunes.
Lou Garnier
Vidéo: La jeunesse lilloise et la politique.
Par Camille Fraioli