Inspiré de la collapsologie*, le collectif des Parasites invite à questionner les limites de notre société thermo-industrielle dans leur web-série l’Effondrement. Une intention partagée par Julie**, conseillère politique et ancienne journaliste. Elle s’engage à travers ses multiples casquettes pour une prise de conscience collective des dangers d’une société à la croissance exponentielle.
L’Effondrement, 2019
Trois jeunes vidéastes, plus connus sous le pseudonyme du collectif des Parasites, proposent, au travers de huit épisodes sous forme de plan séquence, le récit de plusieurs groupes d’individus qui cherchent à survivre par différents moyens en situation d’effondrement.
Épisode 8 (dernier épisode) : J-5 – En direct sur un plateau de télévision, un ingénieur agronome interrompt une émission pour transmettre le message suivant : “L’effondrement est proche, les signaux d’alerte se multiplient.” Aussitôt qualifié de “zadiste survivaliste” ou encore de “complotiste”, il finit par être chassé du plateau. Cinq jours plus tard, le chaos règne sur le territoire français, les structures de la société disparaissent brutalement et emportent avec elles les valeurs morales.
Julie se souvient avoir lu Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens à sa sortie au début des années 2010 et découvert à cette occasion le terme de “collapsologie” et le concept d’effondrement. Sensible aux questions climatiques, elle précise que cet agrégat d’informations et ces concepts ne sont pas nouveaux : « Ils existaient déjà dans les années 70 avec le club de Rome, le GIEC, etc. on sait que l’on est dans une situation exponentiellement dangereuse et le mouvement de la collapsologie ne fait qu’expliquer la situation d’une certaine façon. »
Contestés au sein des écologistes, les effondristes partagent une vision pessimiste d’un système qui court vers son collapse sans logique de transition, comme peut le concevoir le mouvement des Colibris, mais en envisageant la refonte profonde des modes de vie. Encore très marginaux, les collapsologues ne disposent pas de voix en politique ni de véritables leviers pour décréter l’adaptation à un effondrement prévu pour les prochaines décennies.
"Garantir la pérennité de l’humanité"
La collapsologie notifie les bouleversements majeurs déjà en cours dans notre société. Sans pour autant céder au pessimisme à outrance, la catastrophe semble inéluctable. Julie rend compte de l’incapacité de la population à assimiler la théorie de l’effondrement. “Les gens ne sont pas conscients qu’en fonction de notre rapidité d’action et de réaction publique, individuelle et collective, on pourra se maintenir dans un système où le style de vie sera désirable ou pas, ils ne sont pas dans une logique de refonte profonde.” Le premier épisode de la websérie met également en évidence ces mêmes mécanismes de déni, la sémantique de l’effondrement insinuant la condamnation d’un avenir possible.
“Mon engagement est autant sur les libertés publiques et sur l’équité que sur l’écologie.” La perspective du collapse induit nécessairement une réflexion autour de notre capacité collective à garantir la pérennité de l’humanité en respectant un processus délibératif et démocratique. Profondément libertaire, Julie craint que “dans un système où l’idéal démocratique est battu en brèche, si l’on ne se prépare pas maintenant à un effondrement, on risque d’assister à des dérives autoritaires. C’est l’inverse de ce à quoi aspirent les collapsonautes du mouvement de Servigne, persuadés que c’est de façon collective et en s’entraidant qu’on va pouvoir survivre au collapse.”
Si la vision de Julie concernant l’avenir de notre système correspond à celles des effondristes, elle ne se qualifie pas pour autant de collapsonaute. “Ces théories-là, même si j’y adhère sur le fond, elles peuvent tétaniser les gens, c’est comme le déluge, pour garantir le maintien d’un équilibre de la société tout en ayant la conviction que ça va aller de mal en pis, il faut agir concrètement sur le terrain avec une dimension démocratique et sociale, c’est plutôt le chemin des positifs de l’écologie qu’on est forcé d’emprunter”. Impliquée en tant que conseillère politique dans la transition écologique d’une collectivité territoriale, elle estime que sur le plan énergétique et alimentaire, il est possible de mettre en place certaines mesures : rénovation thermique des bâtiments, jardins partagés, végétaliser, etc. Cependant, au-delà des impacts minimes de ces mesures, il existe des équilibres politiques, des résistances avec les lobbys économiques et une légitimité de scrutin très faible dans les villes qui freinent une conscientisation à l’échelle globale.
*La collapsologie est « l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition et sur des travaux scientifiques reconnus » (Servigne & Stevens, 2015).
**le nom a été modifié pour préserver l’anonymat
Par Cléa Duplessis
La collapsologie optimiste d'Yves Citton
Déterminer les comportements humains en temps de crise... à travers un jeu vidéo
En septembre 2005, les joueurs de World Of Warcraft se retrouvent face à une crise inattendue : une erreur de codage au sein du jeu vidéo massivement multijoueurs entraîne l’apparition d’un virus qui se répand sur l’ensemble des serveurs.
Le virus, ne devant durer qu’une dizaine de secondes, mute par le biais de leur animal de compagnie, un porteur sain amplificateur. La propagation est fulgurante notamment lorsque les personnages non joueurs (PNJ) transmettent le virus en n’en subissant pas les effets. Blizzard Games, le développeur du jeu ne pouvant régler le problème immédiatement conseille aux joueurs les plus faibles d’éviter les contacts avec les autres joueurs en évitant les zones fortement fréquentées afin de ne pas être victime des pénalités qu’entraînerait une mort virtuelle. Afin de s’organiser face à ce problème les joueurs ont adopté des comportements similaires à ceux que l’on pourrait éventuellement constater lors d’une crise réelle. Certains en profitaient pour offrir des services de soins tandis que d’autres ont simplement fui ou ont aidé les plus faibles à le faire.
Suite à cet événement, Nina Fefferman et Eric Lofgren, deux bio-mathématiciens, publient en 2007 un article dans The Lancet Infectious Disease dans le but de souligner l’importance de ce genre de modèles numériques dans les prévisions épidémiologiques. Lofgren précise, en effet, que « ce sont les comportements humains, et non le virus, qui façonnent le cours des événements d’une épidémie ». La particularité de cet épisode est qu’il permettait d’analyser les comportements humains, habituellement difficiles à inclure dans un modèle prévisionnel classique de par leur caractère aléatoire, tout en ne faisant aucune victime.
Cette expérience n’a pas été renouvelée mais son étude a contribué à faire une place au numérique dans la connaissance des crises sanitaires par le biais d’analyses des nouveaux moyens de communications ou des données de géolocalisation.
Par Louis Lepen