La Déferlante, comme une évidence à l’heure des révolutions féministes
C’est un nouveau mook, à la croisée entre un livre et un magazine, qui a vu le jour. La Déferlante annonce d’emblée la couleur. Raconter et porter les révolutions féministes de notre époque, voici le défi. Nous avons rencontré Marion Pillas, l’une des quatre fondatrices, pour échanger sur les raisons qui font de cette revue une évidence.
Ce jeudi 4 mars 2021 est un grand jour pour Marion Pillas et les trois autres co-fondatrices, Lucie Geffroy, Emmanuelle Josse et Marie Barbier. C’est aujourd’hui que La Déferlante déferle dans les librairies. Le succès est immédiat. Deux semaines après la parution, de nombreux libraires font état de ruptures de stock. Les impressions sont relancées. Déjà plus de 18 000 numéros ont été écoulés partout en France. Un réel enthousiasme qui démontre le besoin et l’attente d’une telle revue.
À l’origine du projet, un constat. Celui d’une presse qui semble encore en retrait, face au bouillonnement des contenus féministes – podcasts, newsletters, etc. – qui portent ces combats. Surtout, la volonté de donner la parole aux femmes dans leur ensemble, toujours sous-représentées dans la société, mais aussi dans le monde des médias.
Hasard du calendrier, le 4 mars 2021, était également dévoilé le rapport du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio en 2020. Si la présence des femmes est stable par rapport à l’année précédente, 41% selon le CSA, leur temps de parole est estimé quant à lui à 35%, en baisse de 2 points. Autrement dit, quand bien même les femmes sont invitées à s’exprimer, leurs paroles restent moindres. Une réalité que l’on peut expliquer par le mansplaining. Un mot pour décrire la tendance qu’ont encore certains hommes à interrompre des femmes expertes, s’estimant plus légitimes à s’exprimer, alors même qu’ils maîtrisent moins le sujet abordé.
Un état de fait, donc. La presse écrite n’est pas irréprochable non plus. Les hommes trustent les unes, les tribunes, ainsi que les articles. Dans les rédactions également, les femmes sont toujours sous-représentées, encore plus quand il s’agit des hauts postes.
Croiser les regards
Pour les médias, comme pour la société en général, si des améliorations sont à noter, on est encore loin de l’égalité absolue. C’est ici que La Déferlante prend tout son sens. « On veut apporter de nouveaux regards, donner la parole aux personnes qui d’habitude sont invisibles dans les médias », présente Marion Pillas. C’est dans cette même idée que la revue accueille dans ses pages des personnes de tout horizon. Des chercheuses, des activistes, des journalistes, des autrices. « Notre objectif, c’est croiser les regards, les expertises. Se faire rencontrer les différents niveaux d’analyse. »
Dans le premier numéro, le Manifeste donne le ton. « La Déferlante ne se place pas au-dessus de la mêlée : elle prend parti ». Une ligne éditoriale assumée. « Nous ne donnerons aucune tribune à la transphobie. Nous défendrons toujours l’antiracisme », ajoute Marion Pillas.
La revue La Déferlante
« Tout part d’une envie commune, celle de documenter l’époque au prisme des questions de genre et du féminisme. » La Déferlante se présente comme la « revue des révolutions féministes ». « Le mouvement féministe est vivant. Il existe des courants différents » affirme Marion Pillas. « On veut comprendre les oppositions, les mouvements de cette pensée. » En somme, élargir le regard avec « ces lunettes de genre ». Le souhait des fondatrices, « dévoiler des faits que l’on ne voit pas ailleurs, donner une information plus complète ».
Le nom, lui-aussi, semble évident. La Déferlante, comme une vague féministe « implacable » qui déferle sur la société. La revue veut faire des vagues, et du bruit, en se jouant de ce que les femmes ont souvent entendu, le fameux « pas de vagues ».
Le papier pour matérialiser l'époque
La Déferlante, c’est aussi une aventure haute en couleurs. Un graphisme travaillé, des illustrations chatoyantes, et une volonté de questionner le quotidien. Le titre de ce premier numéro est, pour sa part, tout aussi évident. « Naître », ainsi s’appelle-t-il. Comme un symbole. Référence à la genèse de cette revue. Mais surtout, comme une volonté d’interroger « les logiques de genre qui se nichent dans le quotidien ».
Ainsi, les analyses de cette revue se veulent intersectionnelles. « Oui, c’est un choix revendiqué. L’intersectionnalité, dans les faits, c’est très simple. C’est juste dire qu’il existe des personnes victimes de discriminations qui se croisent. On veut donner de la visibilité à toutes ces personnes. »
Un autre choix revendiqué, celui de l’écriture inclusive. « On a placé le curseur pour englober tout le monde, rendre visible le féminin mais aussi la non-binarité » détaille Marion Pillas. Un choix tout aussi évident, « qui ne se fait pas au prix de la lisibilité » assure la co-fondatrice.
La Déferlante, c’est un trimestriel qui manquait. Le premier numéro est désormais disponible en librairie, au prix de 19 euros, et sur internet. « On a conscience du prix, mais on pense que c’est le juste prix », se défend Marion Pillas. « C’est un objet avant tout. Le choix du papier demande des moyens. On l’a conçu comme un livre, car on a besoin de retourner au papier. » Des formats hétéroclites, des prises de position diverses, ce nouveau mook – à côté de la newsletter existante – consacre le papier, tout comme il ancre un peu plus les combats féministes de notre temps. « On veut aussi laisser une trace, historiciser ce que nous vivons. » Pour dire l’Histoire, et écrire l’avenir.
Romaric Cayet
Ces femmes précurseuses du féminisme dans la presse
Gabin Bocquet
Tribune - Les hommes, alliés et complices du féminisme
Le féminisme, doctrine en quête d’une justice sociale et d’une égalité des genres, a pris beaucoup d’importance, à tel point que dans certains milieux tous se disent féministes. Or être féministe n’est pas un effet de mode, c’est comprendre les mécanismes sexistes qui nous entourent et auxquels personne ne peut échapper.
Aux pages 31 et 32 de La Déferlante, c’est l’écrivain Martin Page qui, au travers de sa chronique « Pourquoi je ne suis pas féministe » explique comment il ne peut pas, malgré la meilleure volonté du monde, se revendiquer féministe. « Il serait illusoire de croire que les hommes engagés contre le sexisme sont débarrassés de pensées et comportements misogynes. Les bonnes intentions sont rattrapées par la force et la profondeur d’une socialisation inégalitaire en notre faveur. Nous restons des dominants .»
Les personnes cisgenres, sont celles dont l’identité du genre correspond au sexe de leur naissance, et si le terme « féministe » ne peut pas désigner les hommes cisgenres, le terme « allié » lui, convient. La société est construite sur une hiérarchie avec en son sommet des hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels. Aujourd’hui si les luttes doivent être menées de tous les côtés, toutes ne se font pas sur les mêmes bases, les femmes étant discriminées par rapport aux hommes traités avec plus de respect.
Beaucoup d’hommes se pensent féministes car disent n’avoir jamais agressé, ni harcelé une femme ou encore parce qu’ils défendent l’égalité salariale. Or, être féministe pour les hommes c’est aussi accepter de mettre les pieds dans une sphère qu’on ne maîtrise pas, n’étant pas une femme cisgenre, un transgenre ou bien un non-binaire et qu’en tant qu’homme, des gestes ou des paroles sexistes peuvent être commis. Ainsi, être un « allié » du féminisme, c’est partager des paroles, dénoncer des gestes machistes et prendre du recul sur son propre comportement.
Martin Page développe par la suite que comprendre n’est pas suffisant, il faut aussi agir. Il souligne alors qu’être allié de la cause féministe est certes utile, mais devenir complice l’est encore plus, en passant par l’éducation, l’écoute, la parole ou encore par les manifestations, la présence des hommes peut s’avérer un avantage pour mener loin ces combats féministes.
Victoire Alonzo