La Planque ne cache plus ses idées, une friperie et une brocante prennent place dans les locaux du bar
Au 42 bis rue des Trois-Molettes,dans le Vieux-Lille, le bar d’Alex et Ben a ouvert en 2019. Au début de l’année 2021, ils décident de concrétiser leur idée de proposer à la vente des objets vintages et tendances en parallèle de leur activité de patrons de bar, à l’arrêt pour le moment.
Quand on quitte les pavés du Vieux-Lille pour descendre les escaliers de la Planque, on découvre des vestes vintage surplombant des allées de vêtements rétros et des miroirs vieillis, éclairés par des néons aux couleurs acidulés. C’est dans cette cave, ancien restaurant cubain, que le bar a pris place il y a deux ans, aménagé avec du mobilier chiné par les deux frères passionnés par l’univers de la seconde main. Malheureusement, le lieu aura à peine eu le temps de séduire le tout-Lille lorsque l’annonce du premier confinement tombe. Grâce à des économies qui leur ont permis de tenir durant ces quatre mois de fermeture, l’aventure se poursuit. Et alors que les bars rouvrent en juin 2020, ils referment en octobre tandis que la deuxième vague de l’épidémie déferle sur la France. La Planque rate sa pleine saison : l’hiver, lorsque la cave branchée révèle sa convivialité face à la froideur du dehors.
Tandis qu’Alex et Ben louent cet espace depuis 2 ans, les restrictions liées à la crise sanitaire pèsent sur leur activité. « Il fallait faire quelque chose, ça faisait presque un an qu’on était dans le vide », confie Alex. Étant un bar de nuit, l’idée d’ouvrir la journée du dimanche afin de proposer la vente de vêtements vintage avait germé chez les deux frères, et ce bien avant la crise sanitaire. Déjà en 2019, Ben faisait de la revente de vêtements sur Vinted afin de dégager des revenus et conserver les recettes du bar pour constituer une trésorerie solide. La concrétisation de ce projet s’est accélérée avec le contexte sanitaire et la fermeture complète de l’établissement. Ainsi, après avoir chiné de nombreux objets et vêtements, Alex et Ben ont pu transformer le bar en une véritable brocante
Sortir de chez soi
Cette nouvelle activité, les deux frères l’exercent avant tout pour renouer avec les autres, clients fidèles ou nouveaux consommateurs. « On est avant tout un métier de contact, c’est important de voir des gens, de parler avec eux. » Entretenir le lien social est au cœur du projet : les patrons de bar, les serveurs et finalement tous les employés dans le monde de la restauration sont plongés dans une torpeur tenace. Beaucoup restent chez eux, et s’isolent. Aussi, la clientèle est essentielle pour ces établissements, mais elle se perd au gré des fermetures et restrictions. L’ouverture de la boutique permet à La Planque de fidéliser la clientèle et de séduire un panel plus large de profils, de faire découvrir l’adresse. Mais Ben et Alex ne songent pas à faire de la boutique leur activité principale ; il s’agit bien d’une solution temporaire même si le succès rencontré les pousse à envisager de poursuivre de façon ponctuelle la boutique après une réouverture des bars.
La reconversion, une solution ?
Pour Alex, cette reconversion temporaire n’est pas une solution durable. Elle ne permet évidemment pas de remplacer les recettes du bar ou de subvenir aux besoins de l’établissement durant sa fermeture. Aussi, il note une différence drastique entre les deux activités : « Quand les gens rentrent dans un bar, ils consomment forcément. Avec une boutique, ce n’est pas pareil. Les gens flânent, regardent et repartent sans forcément acheter. » Finalement, une activité annexe ou complémentaire à celle principale, ne permet pas toujours de pallier les conséquences économiques des fermetures, comme l’illustre la Planque.
Aussi, pour pouvoir changer ou compléter une activité professionnelle, il faut entreprendre des démarches administratives parfois lourdes mais aussi et surtout dépenser de l’argent. De plus, les locaux doivent être adaptés. Pour la Planque, les grandes cuisines de l’ancien restaurant cubain ont permis aux deux frères de stocker les vêtements.
Ainsi, la mise en place d’une activité connexe ou complémentaire à l’activité principale n’apparaît pas être une solution adaptée à tous les bars ou restaurants. Mais pour La Planque, elle a permis d’animer le 42 bis rue des Trois-Molettes et de redonner du baume au cœur à Alex et Ben.
Inés ALMA
D’un bar à une friperie : il n’y a qu’un pas administratif
L’ajout d’une nouvelle activité, en plus de celle d’origine, pour les sociétés tels que des bars, n’a pas été facilité à l’occasion de la crise sanitaire.
Lors de l’ouverture d’une structure à but économique, il est obligatoire de renseigner un objet social, c’est-à-dire la nature de l’activité exercée. Celle-ci peut bien sûr évoluer. Cette procédure est alors appelée “adjonction d’activité”.
Le Kbis correspond à l’immatriculation d’une entreprise. Il renseigne, entre autres, son objet social. Lorsque ce même objet social est assez large pour y incorporer des activités “compatibles”, l’entrepreneur doit en faire la demande auprès du Greffe du Tribunal de commerce. Il devra alors lui adresser un document administratif appelé Formulaire M2, qui permet de préciser l’ajout de nouvelles activités, s’inscrivant dans le cadre de l’objet social initial.
Pour ajouter de nouvelles activités qui ne rentrent pas dans l’objet social originel, il faudra à la personne morale modifier ses statuts, en plus de remplir également un Formulaire M2. La procédure, dans ce cas, est plus longue et plus complexe.
L’adjonction d’activité a un coût. Le prix varie en fonction du type d’entreprise et de la procédure. Enfin, en fonction des changements, il peut y avoir des conséquences fiscales pour l’entreprise, mais aussi des répercussions quant à l’attribution des aides exceptionnelles versées par l’État sur des critères bien précis. Se reconvertir, juridiquement, n’est donc pas si simple. Surtout, il peut être difficile de devoir s’initier à de nouvelles activités, même pour survivre, quand on ne demande qu’une chose : faire sans encombre le métier qui nous anime.
Romaric CAYET
Vidéo : Les bars lillois face aux effets de la crise sanitaire - Interview
Victoire ALONZO
Réflexion
Bars, restaurants, secteurs fermés : ce que la crise sanitaire laissera derrière elle
Penser l’après-crise, en voilà une drôle d’idée. Pourtant, il y a aura bien un jour où cette épidémie sera derrière nous. Pour les bars, les restaurants, et tous les secteurs fermés en raison de la crise sanitaire, plus rien ne sera comme avant.
À l’image de La Planque, à Lille, des bars ont dû user d’inventivité pour maintenir le lien avec leur plus proche clientèle, quitte à éprouver de nouvelles activités. Certaines seront pérennisées. Le confinement a été pour certains l’occasion de se digitaliser, bon gré mal gré. Les clients se sont, par exemple, habitués à prendre connaissance de la carte, non plus physiquement, mais de manière dématérialisée.
Le Click&Collect s’est également imposé à la faveur de la crise. Une fois celle-ci passée, ces nouvelles manières de consommer ne disparaîtront pas, elles se surajouteront. Enfin, les Français ont pris goût à la livraison à domicile. Même s’il est certain que beaucoup seront heureux de retrouver le plaisir d’aller manger au restaurant, en personne, autour d’une table, des restaurateurs craignent de voir la livraison prendre plus de place.
Surtout, une fois l’épidémie vaincue, il reste un défi à relever pour les patrons de bars, les restaurateurs et les cafetiers, celui du retour à la normale. Les aides, aujourd’hui délivrées, ne dureront pas éternellement. “Nous sommes sous perfusion” reconnaissent certains. S’ils espèrent un surplus d’activité les premières semaines de réouverture, les restaurateurs le disent : le plus dur reste à venir. Le report des charges et les prêts garantis par l’État seront à rembourser. L’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH), avance qu’il pourrait y avoir, une fois les aides suspendues, 30% de cessations d’activité, le double de la moyenne annuelle.
Le jour d’après, pour les Français comme pour les patrons de secteurs fermés, ne sera pas à coup sûr un simple retour au jour d’avant.
Romaric CAYET