Faire tapis sur l’écoute pour soigner l’addiction aux jeux
En France, les Jeux d’argent et de hasard (JAH) se portent bien. À l’inverse de nombreux joueurs devenus dépendants. Après le frisson du gain, la chute est terrible. Téléguidé par Pierre Perret, l’Institut du Jeu Excessif (IJE) aide gratuitement ces joueurs problématiques. Un soutien précieux, mais pas suffisamment sollicité.
« You’ll Never Walk Alone. »* Un hymne qui a déserté les stades de foot afin de rythmer des publicités de paris sportifs. Si cet air promet gloire aux joueurs, c’est loin de tout plaisir collectif que certains reçoivent les appels de banquiers furax ou les papiers du divorce envoyés par Madame ou Monsieur.
Pierre Perret, lui, tend l’oreille aux joueurs à problème en animant la ligne téléphonique « Misez sur vous ». Ex-joueur tombé dans l’addiction, il crée l’IJE en 2005 et développe alors des programmes pour former les employés de casinos à dialoguer avec les joueurs sur le délicat sujet du jeu. Il ouvre ensuite une ligne téléphonique, doublée d’un site internet, qui « de fil en aiguille s’est ouverte à des joueurs ».
Le chiffre : 1/10
Selon l’ANJ, « un peu plus d’1 joueur sur 10 déclare avoir déjà eu du mal à garder la maîtrise » de leur parcours de joueur. Parmi eux, 43% indiquent « qu’ils n’auront recours à aucune des solutions et acteurs proposés pour les accompagner à surmonter leurs difficultés ».
Source : ANJ 2021
« Une catastrophe heureuse »
De la mamie fan de machine à sous aux parieurs assoiffés de sensations fortes, les profils sont variés. Cette diversité implique des accompagnements inégaux. Certains appellent Pierre Perret à chaque trimestre depuis trois ans. D’autres le contactent deux fois par semaine. Au fil du suivi, le patient-expert cherche à « semer une graine pour qu’ils appréhendent autrement leur problème ».
« Un gros gain, c’est l’entrée programmée dans la dépendance, éclaire-t-il. Il transforme le joueur. » A tel point que lorsque la FDJ remet au gagnant son prix, elle lui parle de « catastrophe heureuse ». Bien souvent, les malheureux winner perdent tout. Et s’ils sont peu nombreux à consulter, ils le sont encore moins à aspirer à tout arrêter. « Ils ne se voient pas comme des malades, lance Perret. Souvent, quand ils sont intéressés c’est sur pression de l’entourage. » La plupart attendent une solution miracle. Mais la course à la guérison est sinueuse et rime surtout avec abandon.
Pour débuter, il s’agit de dresser « l’inventaire des dégâts » et de se sortir de l’équation infernale : « C’est le jeu qui va solutionner mon problème de jeu. » Le joueur doit donc faire son « deuil de l’argent perdu ».
Trouver sa voie
Selon Pierre Perret, l’interdiction de jeux n’est pas suffisante car « le consommateur va sur d’autres formes de jeu. » Heureusement, « s’il trouve une passion aussi forte que le jeu, il pourra tourner la page ». Le stage qu’il avait organisé en 2015 l’a d’ailleurs « conforté dans (sa) conviction qu’un joueur a envie de travailler ». Quand les JAH prennent le pas sur la vie réelle, l’intérêt de « s’engager sur un nouveau projet de vie » prend tout son sens.
Agir plutôt que promettre. Le risque de rechute guette et la confiance de la famille s’efface vite.
En France, c’est l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) qui régule le secteur. D’après Pierre Perret, « la lutte contre l’addiction et la prévention sont présentées comme fondamentales par les pouvoirs publics ». Pourtant, « les jeux sont de plus en plus addictogènes » et le pair-aidant n’est pas dupe. « Plus les joueurs jouent, plus il y a de taxes. Pour le gouvernement c’est la poule aux œufs d’or, lance-t-il. L’État dit qu’il est exigeant mais c’est un peu du blabla. » Certes, des casinos sont fermés et ceux qui vendent du jeu aux mineurs sont traqués. Cependant, pour lui, le danger principal demeure l’incontrôlable offre illégale.
Avec l’arrivée des jeux en ligne, elles pullulent et fabriquent la dépendance. De leur côté, les enseignes de jeu « sont assez pointues sur le jeu responsable ». D’ailleurs, les revenus de l’IJE reposent sur des partenariats avec FDJ and co. Surveillés par l’État et ses sanctions, les opérateurs et casinos cherchent aussi à soigner leur image.
Mieux vaut compter sur des utilisateurs prêts à diffuser leur amour de la roulette que multiplier le phénomène de l’addiction. Si le jeu peut mener à « la prison ou au suicide », une crise donne parfois « du sens à (une) vie ». Après la chute solitaire, l’espoir de se relever existe. Et comme le dit la pub, autant ne pas reprendre sa marche Alone.
Marius Veillerot
Crédits photos : Théo Wargnier, Pierre Perret
Zoom sur les jeunes et les paris sportifs
Autorisés en 2010, les paris sportifs en ligne font désormais partie du quotidien de nombreux jeunes. Un chiffre illustre l’ampleur de ce phénomène : 70 % des parieurs sportifs ont entre 18 et 34 ans d’après l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ). Mais alors pourquoi ?
On vous lance le défi de ne pas croiser en une journée une seule affiche ou un spot publicitaire pour un site de paris sportifs en ligne. Difficile. En effet, les publicités des opérateurs sportifs ne passent plus inaperçues. Une communication bien huilée qui cible principalement un public jeune et urbain avide de gagner de l’argent facilement. Derrière cette logique, ces enseignes ciblent surtout des joueurs, ayant certes un moindre pouvoir d’achat, mais pouvant devenir des consommateurs à long terme.
Pour ces entreprises (Winamax, Betclic et Unibet…), l’enjeu n’est plus d’inciter à jouer mais de fidéliser les parieurs en fédérant toute une communauté. Adieu, le pari sportif en solitaire dans un bar PMU à siroter une bière. Désormais, le jeune joueur hyperconnecté appartient à une communauté de parieurs où les « gros gains » apportent un « gros respect ».
Néanmoins, cette bataille de communication est-elle complètement légale en France ? D’après la loi, oui. Pourtant, les paris sportifs touchent une population de plus en plus jeune, et le nombre de parieurs mineurs ne cessent d’augmenter. Face à ce problème, rien n’est mis en place. Mais les solutions existent. Par exemple, en Italie, les publicités de paris sportifs sont notamment interdites de diffusion. Ne reste plus qu’à tenter le pari en France.
Eloi Thouault
Vidéo : Où en sont les jeux d'argent en France ?
Vidéo réalisée par Naël Makhzoum