Travailler moins pour préserver sa santé mentale ?
En quelques années, le burn-out est devenu un phénomène de société à part entière. Or, depuis 2017, la semaine de 4 jours est en phase d’expérimentation dans de nombreuses entreprises françaises. Alors, coïncidence ou calcul de la part des patrons qui en ont assez de voir les arrêts de travail se superposer sur leurs bureaux ? Rencontre avec Isabelle Rey-Miller, professeur de management à l’ESSEC Business School et Virginie Lemaire, victime d’un burn-out en 2019.
« Travailler plus pour gagner plus ». Tel était le slogan de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, alors candidat à la présidentielles. Quinze ans plus tard, une pandémie mondiale est passée par là et les mentalités ont considérablement évolué. Outre la modification de notre rapport au télétravail causée par les confinements successifs, la Covid 19 a permis de donner davantage de visibilité aux questions liées à la santé mentale. Désormais, la majorité des gens ne considère plus le burn-out comme un aveu de faiblesse, mais bien comme un enjeu collectif.
Une solution miracle ?
Pour tenter d’y faire face, Isabelle Rey-Millet, co-autrice de Management Game, accompagne les entreprises dans leur transformation managériale depuis maintenant treize ans. Elle a notamment aidé une chaîne de production à transitionner vers la semaine de quatre jours. « Les résultats sont là », affirme-t-elle. « C’est un cercle vertueux pour eux : la maintenance préventive intervient le vendredi, ce qui permet à l’activité d’être en flux continu. Ainsi, la chaîne ne tombe jamais en panne et la productivité est optimisée avec des employés qui travaillent environ trente heures par semaine, du lundi au jeudi. »
Pour autant, elle est loin de considérer qu’il s’agit d’un remède miraculeux : « Si les gens ont la même pression, ça ne changera rien. Il faut laisser de l’autonomie et de la flexibilité aux employés. Et surtout, il faut mieux organiser leurs temps de travail. » Quant à la corrélation qui existerait entre diminution de stress et semaine de quatre jours, elle est catégorique : « On sait que le cerveau a besoin de décrocher : si on fait de vraies coupures, on arrête de fabriquer du cortisol. Or, les hormones du stress détruisent les télomères, qui servent de couche protectrice pour les chromosomes. » Le rôle de ces derniers consiste notamment à entretenir notre faculté à créer des connexions neuronales.
Dans la mesure où il est prouvé scientifiquement que, lors d’un burn-out, les connexions entre neurones inhibiteurs et excitateurs sont affaiblies, on comprend mieux la pertinence de la semaine de quatre jours pour pallier ce problème. Virginie Lemaire l’a d’ailleurs testée pendant presque neuf ans : elle travaillait alors dans le secteur d’insertion socio-professionnelle au sein d’une grosse institution publique belge. En juin 2018, on ne lui laisse guère le choix : elle doit repasser à la semaine de cinq jours. Moins d’un an plus tard, au mois de mars 2019, elle fait un burn-out. Bien sûr, il serait réducteur d’attribuer intégralement ce dernier à ce changement de rythme. Toutefois, elle établit elle-même un lien direct entre les deux événements : « Je ne suis pas certaine que j’en serais arrivée là si j’avais continué à travailler quatre jours par semaine parce que la coupure du mercredi m’aurait peut-être permis de prendre du recul. »
Deux ans plus tard, elle anime un groupe de paroles autour du burn-out. En effet, selon Virginie, la semaine de quatre jours n’est qu’une solution parmi d’autres pour atténuer l’explosion de burn-out qu’on observe dans les entreprises ces dernières années. Son expérience dans le domaine lui fait promouvoir la mise en place d’un protocole systématique quand il y a une suspicion de burn-out. Certes, ce mécanisme interviendrait à la fin de la chaîne, quand il est déjà « trop tard » mais, même en matière de pure prévention, d’autres pistes sont tout à fait envisageables et cumulables avec la semaine de quatre jours. La mise en place d’horaires aménagés, l’abolition du « comand and control », davantage de tolérance vis-à-vis du télétravail… Reste à savoir si la société française est prête pour de tels changements, tant d’un point de vue économique que d’un point de vue moral.
Clara LAINE
Zoom sur :
L’importance du lien social pour renforcer la qualité de vie et le bien-être au travail
Christophe Nguyen, psychologue du travail, déclarait pour Welcome to the Jungle, entreprise ayant testé la semaine de 4 jours mais aussi média dont la ligne éditoriale porte sur le travail et l’emploi, que “le lien d’appartenance à un collectif” était “très important pour l’équilibre mental” . En effet, le lien social serait un autre facteur essentiel à considérer dans la lutte contre le burn-out, phénomène qui a doublé depuis le début de la pandémie chez les professionnels. Créer du lien serait ainsi un outil majeur pour renforcer la qualité de vie et le bien-être au travail.
Le lien entre burn-out et relations sociales a été étudié lors de l’enquête “Qualité de Vie des Enseignants” menée par la Fondation MGEN pour la Santé Publique et l’Education Nationale. 5000 enseignants ont été questionnés en France via des questionnaires qui incluent des outils épidémiologiques comme Oslo, permettant de mesurer le niveau de soutien social. Ces données ont notamment indiqué que les personnes les moins sujettes au burn-out bénéficiaient d’un plus grand soutien dans leur milieu de travail. Ce n’est donc plus un secret que l’ambiance et les relations entre collègues ont un impact sur la qualité de vie au travail, et c’est d’ailleurs ce qu’affirme un salarié sur deux, selon l’étude menée par Malakoff Humanis.
Quelles solutions peuvent donc être envisagées et mises en place ? Cette question a été étudiée au sein d’AT Internet, entreprise de web marketing. Pour consolider les liens entre ses équipes, l’entreprise a mis en place différents dispositifs, comme par exemple l’organisation d’événements “team building”. Le Ship-It day est une journée durant laquelle les collaborateurs doivent relever en équipes le défi de développer et présenter des innovations et qui se clôture par une soirée concert. Au quotidien, les collaborateurs constatent une ambiance générale agréable, notamment grâce aux pauses cafés virtuelles pour les télétravailleurs ou encore grâce aux déjeuners d’équipe sur le lieu de travail. En dehors des heures de travail, les afterwork permettent également de réunir les collaborateurs autour d’un QG ou au contraire dans de nouveaux endroits atypiques en fin de semaine pour créer des connexions. Les psychologues de travail encouragent donc les entreprises à créer du lien entre les équipes en instaurant des dispositifs managériaux de la sorte, essentiels pour encourager l’intégration et l’entraide ainsi que pour stimuler l’ engagement et la créativité du collaborateur.
Léa RINGEVAL