La colocation solidaire : une alternative à la précarité des jeunes
Pensées par le mouvement ATD Quart Monde, les « coloc’actions » s’adressent aux jeunes étudiants ou professionnels entre 18 et 30 ans. Elles proposent des logements à bas coût en échange de 4 heures de bénévolat par semaine. A Loos, l’initiative a vu le jour en septembre dernier. Juliette, 19 ans et membre de cette colocation, témoigne.
Le gouvernement doit « regarder en face cette jeunesse qui souffre », soulignait début février la fondation Abbé Pierre, lors de la sortie de son rapport annuel sur le mal-logement. En raison de la précarité des jeunes, doublée d’une pénurie de logements étudiants et sociaux, se loger devient un parcours du combattant. Dans les grandes villes et notamment à Lille (15e dans le classement des villes étudiantes de France, selon l’Étudiant), l’offre se raréfie. C’est pourquoi la colocation solidaire d’ATD Quart Monde se présente comme une alternative.
Sous le regard de la Tour Kennedy qui domine de ses 28 étages le quartier des Oliveaux à Loos, la rue du Docteur Lesne a une allure calme, des plus ordinaires. C’est au 26 que trois étudiants ont élu domicile : « Bienvenue dans la coloc’action ! ».
Pour une maison avec un étage et un jardin, deux colocataires paient 135 euros le mois pour une chambre de 9m2, et la dernière, 170 euros pour une plus grande. En contrepartie ? « Nous devons participer à des actions bénévoles de manière régulière, et à l’échelle locale », explique Juliette, en deuxième année de formation d’assistante de service social.
C’est d’ailleurs par des interventions d’ATD Quart Monde à son école, qu’elle a entendu parler pour la première fois de la « coloc’action ». Pour les jeunes dont le maigre budget rend difficile la recherche de logement, Juliette n’a pas hésité. « Je fais de sacrées économies ! », confie-t-elle avant d’ajouter : « C’est bien de ne pas compter tout le temps. On gagne un confort, une aisance financière non négligeable, que je ne pense pas trouver ailleurs. »
Pour équilibrer la balance, les colocataires participent à diverses actions du mouvement ATD Quart Monde. « M’engager d’un point de vue citoyen, c’était aussi ce qui m’intéressait », affirme Juliette qui cherchait à faire du bénévolat avant de connaître la « coloc’action ».
L’engagement, un autre attrait de la « coloc’action »
Dans un environnement où règne un entre-soi résidentiel, les trois colocataires animent des activités qui permettent de favoriser la cohésion sociale. Ainsi, ils participent à l’organisation d’Universités Populaires, à des ateliers de discussions et de jeux, ou encore, à des bibliothèques de rues, action phare du mouvement ATD qui consiste à faire la lecture aux enfants du quartier. « Je pensais que ça allait être compliqué, mais au final, les bibliothèques de rues m’ont permis de m’apercevoir que j’appréciais être aux contacts des enfants », argue Juliette avec humour.
Tombé à point nommé, ce projet est également pour elle le moyen de répondre à son besoin d’indépendance : « Je voulais m‘émanciper et me créer mes propres expériences ».
Par ailleurs, les trois colocataires sont unanimes, « ATD a permis de faire des rencontres, autant au sein de la coloc’ que grâce aux actions proposées. On s’enrichit continuellement des connaissances des autres ». Un aspect que tous les trois ont recherché en choisissant d’intégrer le logement.
Actuellement, il existe 4 autres « coloc’actions » en France, à Montreuil, Noisy-le-Grand, Colmar et Dole. Bien que la question d’agrandir le projet soit posée, il n’est pas dans les cordes d’ATD de le développer à grande échelle : « Nous nous voyons davantage comme un laboratoire plutôt qu’une industrie lourde. On laisse aux autres acteurs le soin de s’approprier l’idée et de la développer », déclare au quotidien Libération, Paul Maréchal, le délégué national de l’association.
Anouk Jobert
Le Zoom ...
''De sacrées économies''
Quelle préoccupation rationnelle que celle de faire des économies. Aujourd’hui et pour des centaines de milliers de jeunes, cette préoccupation n’est plus seulement rationnelle, elle est vitale. En 2019, 19% des jeunes (de 18 à 29 ans) vivaient sous le seuil de pauvreté en France selon les données de l’INSEE**.
Le seuil de pauvreté est calculé grâce aux revenus d’une personne (ou d’un foyer). En France, si ladite personne dispose de revenus inférieurs à 60% du niveau de vie médian de la population, elle est considérée comme pauvre.
Ces chiffres, datant d’avant la crise sanitaire sont déjà inquiétants. Alors, pour ces jeunes qui nagent dans des environnements peu stables (études ou emplois), la crise du Covid a exacerbé ces inquiétudes. Les files dans les banques alimentaires sont toujours plus grandes et les collectes souvent ne suffisent pas à la demande. D’ailleurs, l’éventail de personnes se rendant aux distributions s’élargit, des bénévoles notent que beaucoup de nouvelles têtes font leur apparition à chaque distribution.
À côté de ça, de nombreux jobs étudiants et emplois précaires ont fermé pendant la crise sanitaire : 46% des étudiants travaillaient à côté de leurs études avant le Covid contre 37% désormais. Ces fermetures abandonnent avec toujours moins de revenus des jeunes qui se retrouvent parfois dans l’impossibilité de poursuivre même leurs études. Linkee, une association venant en aide aux étudiant les plus démunis à Paris a communiqué qu’un bénéficiaire sur deux envisageait sérieusement de quitter ses études.
Louis Preuvot
Pour aller plus loin:
Une bibliothèque de rue dans le quartier des Oliveaux
Nahéma Roux