L’envol des Papillons Blancs de Lille vers leur premier bistrot inclusif
Le Bistrot papillon, porté par l’association les Papillons blancs de Lille a ouvert ses portes lundi 31 janvier au siège de la ligue de tennis, à Marcq-en-Barœul. L’établissement emploie des personnes en situation de handicap mental avec l’intention de leur ouvrir les portes des restaurants traditionnels.
Participer à l’insertion professionnelle des jeunes en situation de handicap, c’est le dernier défi relevé par l’association les Papillons Blancs de Lille. Apprenant que la ligue de tennis de Marcq-en-Barœul était à la recherche d’un repreneur pour son bistrot, l’association y a vu une opportunité. C’est Bertrand Rock, le moniteur principal de l’association qui a coordonné le projet : « Nous avons déjà une soixantaine de structures sur la métropole, mais ce restaurant inclusif est le premier », explique-t-il.
L’importance de l’insertion professionnelle
Trois mois plus tard a lieu l’ouverture officielle. Alice avait déjà eu un emploi dans le nettoyage de chantier, elle est habituée au monde du travail : « Moi avant je travaillais dans le nettoyage de chantier, ma journée commençait à 5h30 et se terminait à 12h, alors le rythme ici, non ça ne m’a pas dérangée », affirme-t-elle en plein service de cafés pour le bar. Ce qui change pour elle ici, c’est l’opportunité de se qualifier et d’obtenir plus d’opportunités dans un milieu qu’elle a choisi : « La restauration, j’aime ça », déclare la jeune femme.
Au bistrot, ils sont une équipe de cinq travailleurs et travailleuses en situation de déficience mentale légère recrutés et formés par l’association. En cuisine, Sarah et Alexandre sont sous la directive de Jérôme, ancien chef cuisinier traditionnel. Arrivé par hasard dans l’association il y a 3 ans, il a accepté le poste avec plaisir. C’est lui qui mène la danse en cuisine comme il le faisait déjà avant, mais en s’adaptant au mieux aux particularités de ses travailleurs : « Nous n’avons qu’une demi-journée de formation et après c’est sur le terrain que ça se passe. »
Loin de vouloir faire carrière au bistrot, les travailleurs aspirent à rejoindre des restaurants traditionnels. Pour cause : l’intégration dans la société passe en grande partie par le travail. Le salaire apporte une indépendance financière et l’entreprise du lien social, une appartenance à une collectivité. L’épanouissement social passe en partie par l’insertion professionnelle. Les Papillons Blancs ont pour objectif de permettre cette intégration sur tous les aspects de la vie.
Les Papillons Blancs est une association de parents et d’amis de personnes en situation de handicap dont des antennes ont été créées successivement dans toute la France à partir de 1949. L’association s’est implantée en métropole lilloise dans les années 60. Une soixantaine d’années plus tard, elle réunit plus de 2500 personnes en situation de handicap mental, a ouvert une cinquantaine d’établissements et de services répartis sur 23 communes. La mission concerne plusieurs publics : les familles qu’il faut accompagner et soutenir, les professionnels et les personnes en situation de handicap mental avec lesquels elle construit un projet. L’association déploie un véritable accompagnement pour leur rendre accessible tous les domaines de vie : éducation, travail, habitat, loisirs.
Une passerelle vers « le monde ordinaire »
Pour rejoindre le restaurant, pas de passe-droit. Alice, Alexandre, Kamel, Sarah et Benjamin ont dû fournir un CV et une lettre de motivation : « Ils ne sont pas livrés à eux-mêmes, Alexandre par exemple a été aidé par une éducatrice de l’association », explique Bertrand. La sélection repose sur leur capacité future à rejoindre un établissement classique. Une fois leur candidature sélectionnée, l’embauche est confirmée à la suite d’un entretien : « Nous les recevons à plusieurs, en condition réelle d’embauche mais sans les mettre en difficulté, on veut les évaluer bien sûr mais on les cocoone quand même ! »
La grande différence avec les restaurants classiques, c’est l’adaptation au rythme de travail des employés. Le chef cherche à les rendre les plus autonomes possibles : « J’agis avec eux comme je le ferais dans un restaurant classique, le but est de les former à rejoindre le monde ordinaire. Je dois juste m’adapter à leur sensibilité et veiller à ne pas les mettre en échec, c’est pas le but. » Par exemple, le menu initialement prévu pour deux semaines sera finalement actualisé chaque mois pour que l’équipe en cuisine puisse prendre le temps « d’assimiler les techniques de préparation et de dressage », modification qui n’aurait pas forcément été possible dans un restaurant classique.
Pas de craintes pour l’équipe car, pour l’instant, le restaurant rencontre un franc succès : destiné à ouvrir le midi en semaine, il prévoit déjà des extras en soirée et pour des séminaires.
Anaëlle Charlier
Zoom sur... l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap
En France, l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap est un enjeu certain pour leur indépendance financière. Le soutien qu’iels reçoivent sur ce plan de la part de l’Etat est en deçà de la moyenne européenne et des attentes des principales associations leur venant en aide. Illustration nette avec ce point :
L’attribution déplorée de l’AAH
L’AAH (aide adulte handicapée), l’aide spécifique la plus allouée aux personnes en situation de handicap, d’un montant maximum de 458,39€, est entre autres conditionnée par les ressources du couple dont la personne handicapée fait partie. Cela participe de la dépendance des personnes handicapées à leur conjoint.e. Revalorisée cette année, le Sénat a en décembre dernier rejeté une proposition de loi visant à son individualisation ou «déconjugalisation », pour laquelle les associations militent.
Une insertion professionnelle encore incomplète
Quid de l’intégration des personnes en situation de handicap pour pallier cette dépendance financière ? Dans le secteur privé, tout employeur d’au moins 20 salariés doit présenter un effectif rempli à hauteur de 6% par des travailleur.euse.s en situation de handicap. Comme le non-respect de ce principe n’entraîne pour les entreprises que l’acquittement d’une “contribution annuelle” à l’Agefiph*, elles préfèrent parfois ne pas respecter le quota. Voilà pourquoi les initiatives comme celle des Papillons Blancs, venant plus particulièrement en aide aux personnes présentant une déficience intellectuelle, apparaissent comme une solution parmi d’autres à la dépendance, mais plus sérieuse, aux personnes en situation de handicap.
*Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées