Les groupes Facebook constituent un outil de plus en plus utilisé pour développer les liens de proximité, la vie événementielle et culturelle, ainsi que la solidarité. Ils peuvent également être une alternative au réflexe de consommation en permettant de manière efficace et simple le troc ou l’échange de service, comme c’est le cas du groupe «Passe à ton voisin-Lille Fives», créé par Julie.
Lorsque j’ai souhaité prendre rendez-vous avec Julie, la créatrice du groupe Facebook «Passe à ton voisin-Lille Fives», il n’a pas été simple de convenir d’un horaire. En effet, la jeune femme semble jongler entre son travail d’éducatrice spécialisée, ses trois enfants, et l’entretien de ce fameux compte dont elle est à l’origine, et qu’elle gère en duo. Quelles raisons l’ont poussée à endosser la charge du groupe sur son temps libre, depuis cinq années, en supplément de sa vie déjà bien remplie ?
« L’idée m’est venue parce qu’il existait d’autres groupes Facebook de dons sur la métropole complète, sauf qu’aller chercher une paire de gants à l’autre bout de la métropole n’a pas forcément de sens, donc je souhaitais créer un réseau de proximité. »
En effet, le groupe a pour fonction principale de permettre l’échange gratuit d’objets entre voisins d’un même quartier. Il encourage ainsi la solidarité locale. « Finalement c’est ce que l’on ferait normalement avec nos voisins mais que l’on n’arrive plus à faire dans les grandes villes : aller frapper à la porte pour demander un service. »
Comme l’évoque Julie, la société de consommation et la multiplication des grandes surfaces dans les métropoles nous poussent à acheter dès qu’un besoin apparaît, et ce même si notre achat est destiné à un usage ponctuel. Nous avons ainsi perdu l’habitude du troc et des services. Cependant, il y a depuis quelques années et encore plus depuis la crise sanitaire, une certaine remise en question de ce système par une partie des citoyens, notamment pour des raisons écologiques. C’est dans cette dynamique que semble s’inscrire l’initiative de Julie, qui constitue une alternative à cette tendance générale.
« On a vraiment tenu à ce qu’il n’y ait pas du tout de vente, que ça reste dans l’esprit de l’échange. » De plus, l’anonymat causé par la surpopulation des grandes villes n’aide pas à rencontrer nos voisins, si bien que la plupart d’entre nous vit à côté les uns des autres sans se connaître.
« L’idée était aussi de diffuser des informations sur ce qu’il se passe dans le quartier, que ce soit municipal, associatif, culturel. L’objectif, au-delà de l’échange d’objets, était de créer du lien. Quand les gens me disent qu’ils se rencontrent, qu’ils sont allés boire un verre…Moi je sais que ça m’a permis de rencontrer des gens. »
Engendrer des rencontres et du lien social, c’est ce à quoi semble aspirer l’ensemble des groupes Facebook. Ceux-ci se multiplient et rassemblent les gens autour de caractéristiques communes : l’endroit où ils habitent, une passion, une opinion, un besoin… En effet, le réseau social est en partie détourné de son aspect virtuel, et devient un support à la vie sociale et aux activités réelles.
« Je me suis posé la question : comment fait-on pour que ça ne reste pas seulement du virtuel et que ça soit un déclic, un support à une dynamique de créer de l’échange entre les gens. Moi maintenant que j’ai un peu repéré les gens autour de moi, neuf fois sur dix je ne passe plus par Facebook pour donner quelque chose ou demander un service. »
Pourquoi Facebook ?
« Parce que je ne connais pas les autres réseaux sociaux », rigole Julie. « Moi je ne suis pas hyper fan des réseaux sociaux mais j’avoue que ça a quand même des avantages lorsque c’est bien utilisé. Le virtuel permet plus de spontanéité qu’un moyen plus direct. Par exemple à Fives il existe Tipi, qui est une objetothèque créée par une association, où l’on met ses objets que l’on peut prêter. Et c’est vrai que ça fonctionne moins bien, en tout cas c’est ce que disent ceux qui la gèrent. Le système des groupes Facebook lui marche plutôt bien, c’est visible, c’est lisible, c’est bien conçu et ça permet une certaine fluidité. Après pour moi c’est un outil comme ça pourrait en être un autre. »
Malgré leur efficacité, utiliser les réseaux sociaux comme support pour ce type d’initiative nécessite quelques précautions. En effet, l’accessibilité de la plateforme engendre un risque d’introduction d’individus malveillants dans le groupe, et que celui-ci soit détourné de sa fonction initiale. C’est pourquoi Julie a imaginé un questionnaire pour filtrer les arrivées dans le groupe, qui est privé. D’après son témoignage, ce système semble plutôt bien fonctionner.
« Dans ce genre de groupe il faut bien poser les règles de base, sinon on passe sa vie à faire de la régulation et ce n’est pas le but. J’essaye d’avoir un petit œil sur les échanges pour vérifier qu’entre les gens ça reste courtois, cordial. Ca nécessite quand même des compétences en communication etc., mais la plupart du temps les gens sont bon esprit, tout le monde joue bien le jeu. Depuis cinq ans j’ai dû éliminer seulement deux ou trois personnes, donc ça reste très marginal. »
Pourquoi les groupes de proximité sont-ils un atout considérable pour être heureux ?
Ce n’est pas un hasard si les groupes de quartier sont particulièrement en vogue en ce moment. Depuis l’explosion de l’épidémie de Covid-19, l’Etat a multiplié les mesures pour restreindre nos contacts physiques. Or, Il semble que nous ayons besoin de rencontrer nos voisins. Facebook est un moyen vers la sociabilité et non une fin en soi. Nous ne pouvons pas nous contenter de relations virtuelles. En effet, comme le défend Aristote, l’homme est naturellement sociable. Si l’état civil est naturel, cela ne veut pas dire que toute l’humanité est née dans une cité. Les premiers hommes ont été capables d’accomplir une tâche commune en la fondant. Si l’homme ne vit pas en société, il est un être incomplet, semblable à une pièce de puzzle isolée. Comme les autres animaux, les hommes peuvent se fédérer autour d’une vie qui cherche l’agréable et fuit le douloureux. Pour survivre et combler nos manques, nous avons dû nous ériger en société. Aristote défend une conception téléologique du monde. Selon lui, le monde est une totalité rigoureusement organisée, dans laquelle chaque être et chaque chose occupent une place et accomplissent une fonction qui leur est propre. C’est pourquoi l’homme est le seul à être un « animal politique ». Autrement dit, tous les individus partagent des valeurs en plus de vivre dans une cité. Ils sont capables de percevoir le bien et le mal, le juste et l’injuste et de se fédérer aux autres hommes en vue d’une vie heureuse. C’est dans un tel but que la nature l’a doté d’un langage. Nous priver de nos interactions physiques revient donc à nous empêcher de réaliser notre nature et nous condamne à être nécessairement malheureux.