Les foyers d’accueil des sans-domicile fixe sont aujourd’hui surchargés et la liste d’attente est longue. Parmi les résidents, certains souhaitent avoir leur propre chez soi, mais ne savent pas comment s’y prendre. La Bouquinerie du Sart leur propose de les embaucher pour leur apprendre, à leur rythme, comment se reconnecter avec la société.
Au détour d’un rayon de livres, en train de trier ceux qu’il faut garder ou jeter, se trouve Aïcha. Arrivée en France il y a cinq ans, elle travaille à la Bouquinerie du Sart tout comme 13 autres membres qui sont, comme elle, en insertion professionnelle. En foyer ou en famille d’accueil, tous se disent prêts à retrouver leur autonomie. Mais pour cela, il faut un emploi et un logement. C’est là qu’intervient la Bouquinerie du Sart, située à Villeneuve d’Ascq, qui propose des livres de seconde main. Consciente qu’en France il n’y a que 45 500 places dans les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale pour 300 000 sans-domicile fixe, la Bouquinerie agit depuis 2015 pour désengorger ces lieux. Ainsi, elle offre chaque année aux sans-abri des postes de logistique au sein de son entreprise.
Le travail vecteur d’intégration
Notre métier est à la base de notre identité puisqu’il définit notre place dans la société. C’est aussi un lieu d’échange, au cœur de nos relations sociales. Pour le dire plus simplement, le travail intègre. Et ça, la Bouquinerie du Sart l’a bien compris. C’est pourquoi elle propose d’embaucher des sans-domicile fixe dans le but de les insérer professionnellement, mais aussi socialement. C’est le cas d’Aïcha. Originaire de la Côte d’Ivoire, elle a d’abord travaillé pendant quatre ans à Emmaüs dans une boutique de linge. Logée, nourrie, blanchie, son indépendance lui manque : “On n’est pas chez nous, on ne peut pas faire à manger.”
Aïcha ne se sent pas actrice de sa propre vie. Son assistante sociale lui conseille de postuler pour la Bouquinerie. Ici, elle se sent épanouie : “C’est mon premier vrai travail, et j’ai créé des liens avec beaucoup de monde“. Maintenant, elle se sent plus à l’aise dans la société et espère rapidement trouver un logement pour quitter sa famille d’accueil.
Lorsque l’on est sans-domicile fixe, l’emploi ne fait pas tout. Parfois même, certains ne souhaitent pas s’insérer professionnellement. Mais les relations humaines sont primordiales. Échanger avec quelqu’un nous fait toujours sentir important ou du moins pris en compte. Grâce à cela, Aïcha est contente d’aller au travail le matin, “sans stress”.
Une chance pour ceux qui n’en ont pas
L’association donne l’opportunité aux sans-domicile fixe de redonner une seconde vie aux livres. Marine, co-fondatrice de l’association nous explique que “ce sont des contrats d’un an à temps-partiel dans le but de reprendre un rythme de travail progressif et sur les derniers mois, ils passent à temps plein pour les habituer à la suite”. En tant qu’opérateurs logistiques, les employés se partagent les tâches entre le tri des livres, la mise en stock ainsi que la préparation et l’expédition des commandes.
La Bouquinerie se voit comme un tremplin. Elle donne l’opportunité de s’insérer professionnellement tout en apportant un soutien dans les recherches d’emploi futur. Prenant en compte leur parcours de vie souvent difficile, l’association s’adapte aux besoins de chacun, allant à leur rythme. Que ce soit les SDF, les migrants ou encore les réfugiés, tous s’autorisent à réfléchir à un avenir meilleur que la rue.
Une solution sur le long terme ?
Depuis sa création, la Bouquinerie du Sart a permis à 30 des 43 employés de se reloger. En 2021, 9 personnes sur 10 ont trouvé un emploi à la fin de leur contrat. C’est un bon début pour une action locale qui travaille à échelle humaine. Par ailleurs, en France, le nombre d’associations d’aide à la réinsertion professionnelle ne fait qu’augmenter. Mais c’est aussi le cas pour celui des sans-domicile fixe. La situation s’aggrave et cette fois-ci c’est à une échelle nationale que le sujet doit être traité. Les initiatives comme la Bouquinerie du Sart montrent bien qu’il serait nécessaire de créer plus de places dans les foyers et de mettre en vigueur des politiques sociales plus concrètes et efficaces.
Lilou Hiver
Les postes proposés pour amener à la réinsertion professionnelle
Dans cette vidéo, Zoé Dejaegere nous propose une rencontre avec les personnes en réinsertion professionnelle à la Bouquinerie du Sart, qui nous expliquerons leurs différentes tâches dans cette association écologique et solidaire.
Zoom sur...
la seconde main
Livres, vêtements, jouets, appareils électroniques, mobilier : il est désormais possible de (presque) tout se procurer de seconde main. Entre conscience écologique de lutte contre la surproduction ou tendance du moment, tout le monde n’est pas adepte pour les mêmes raisons. Alors que de plus en plus d’initiatives de vente alternative fleurissent dans nos rues & sur nos téléphones, les Français.e.s semblent réactif.ive.s à ce mode de consommation : iels étaient 29 % à acheter des vêtements ayant eu une première vie en 2021, contre 16 % en 2018. En parcourant les étales de ces magasins alternatifs, j’ai rencontré des client.e.s aux différentes motivations comme Éloïse & son budget d’étudiant, bien contente “d’acheter pleins de choses à petit prix”. Ethan de son côté, explique que “c’est tout un mode de vie de consommer le maximum de choses qui existent déjà.”
L’intérêt est d’adopter une posture militante au quotidien, écologique & anti-capitaliste. “Je boycotte tous les magasins de première main qui surproduisent, on n’a plus besoin de produire autant, faut consommer ce qu’on a !” Pour Anaïs, ces lieux alternatifs sont plutôt la sortie stylée de la semaine : “c’est hyper stylé ici, on achète des trucs sympas dont on n’a pas forcément besoin & c’est hyper aesthetic pour nos photos.” Loin de la lutte contre la surproduction, la jeune femme est happée par la seconde main à petit prix qui amène à davantage consommer. Le revers de la seconde main qui incite à consommer plus que nécessaire.
Loïs Hamard