Le rugby féminin permet-il une émancipation des stéréotypes de genre ?
Depuis une dizaine d’années, la sociologie étudie les comportements de sportives pratiquant des sports jugés masculins. La lecture de leurs travaux ainsi qu’une rencontre avec trois rugbywomen du Stade villeneuvois, avant la reprise de leur championnat, a permis de vérifier l’effet émancipateur de ces sports concernant les normes de féminité. Néanmoins, certains comportements ont un effet contraire.
« Le rugby m’a réconcilié avec des aspects de ma féminité. » Quand Elise, trois-quarts centre au Stade villeneuvois parle du rugby, c’est avant tout pour décrire à quel point celui-ci peut être un vecteur d’émancipation des injonctions comportementales féminines. Ce qui n’est pas évident au premier abord, ce sport étant peut-être le plus éloigné des attendus féminins « classiques ». « La pratique du sport véhicule les normes sociales dominantes de la masculinité et de la féminité et, en conséquence, elle participe à leur reproduction », explique Catherine Louveau, sociologue du sport. La répartition sexuée des pratiques vérifie cette information : la part des femmes licenciées dans les fédérations de gymnastique et de danse s’élève à 83%. Rappelons que le choix d’une pratique sportive est un souvent contraint : « Certaines [pratique] sont perçues et désignées comme davantage convenables ou appropriées pour les femmes, et d’autres, comme davantage légitimes pour les hommes », expose la sociologue.
Dépasser les injonctions
Ainsi, pratiquer un sport considéré comme masculin permet à ces sportives de déconstruire les mécanismes d’intériorisation des stéréotypes de genres. Comme évoqué précédemment, l’expérience de femmes transgressant l’ordre social des genres dans le sport peut les amener à contester les normes dominantes de la féminité. Ces propos d’Elise en sont l‘illustration : « Autour de moi, j’ai eu des remarques du style “Ah bon, des filles comme toi vous faites du rugby ? Vous vous plaquez comme les garçons ?” ».
…Pour parfois mieux les véhiculer
A l’inverse, face à cette injonction permanente à la conformité sexuée, « certaines d’entre elles sont tentées de surjouer la féminité […] pour prouver à la société qu’elles sont de “vraies femmes”, explique Béatrice Barbusse, sociologue du sport. Au cours de la discussion, une seule remarque, celle de Cécile, est venue soutenir ce constat. « Depuis que je fais du rugby, j’ai augmenté mon côté féminin. Par exemple si j’ai envie de porter beaucoup des bijoux, je sais que je ne ferais pas pétasse car de toute façon mes amis ou collègues savent que je joue au rugby ! » Selon la sociologue, il faut d’abord rappeler que ces femmes sont « vraiment très fortes » car « l’incongruité de leur présence, qu’on leur fait tout le temps ressentir, permet à certaines de se forger un mental. » Celui-ci leur permet de dépasser les remarques sexistes auxquelles elles sont confrontées régulièrement (voir la vidéo ci-dessous). Bien qu’il faille « déconstruire les croyances, les préjugés, les stéréotypes de genre pour construire une vision plus réaliste et complexe [de la féminité], en surjouant leur féminité, ces sportives en donnent une image fixe ». Or, « la féminité c’est la capacité à être une femme […]. Et il y a autant de manière d’être une femme qu’il y a de femmes ». Indéniablement, la dimension masculine du rugby permet aux femmes de prendre conscience qu’il n’y a pas qu’un modèle féminin. Mais la dureté du contexte social de leur pratique sportive peut parfois les conduire à adopter des comportements renforçant les stéréotypes de genre.
Séverin Lahaye
ZOOM
3,1 millions
C’est le record de téléspectateurs du rugby féminin lors de la demi-finale France/Angleterre diffusée en Prime Time sur France 2, pendant la Coupe du Monde 2017.
14
Il s’agit des affiches de la Coupe du Monde 2022 qui seront diffusées sur TF1, comprenant tous les matchs de la France. La compétition aura lieu du 8 octobre au 12 novembre, en Nouvelle-Zélande. Chaque match sera suivi d’une émission présentée par Thomas Mekhiche. La diffusion de cet événement est primordiale pour le développement du rugby féminin. Cette médiatisation conjuguée aux résultats prometteurs de l’équipe de France légitime le rugby féminin auprès du grand public. Cette visibilité incite certaines femmes à se lancer, ce qui se traduit par un accroissement du nombre de licenciées.
26 465
C’est le nombre de licenciées en France cette année contre seulement 17 000 en 2017 et 4 000 en 2004. Alors que les inscriptions explosent chez les filles (+17% en 2020), elles perdent en dynamisme chez les garçons (+3,7% en 2020).
10%
La proportions de filles parmi les licenciés chez les 6-18 ans en France, en 2021. Le rugby est donc encore en grande majorité pratiquée par des garçons. Le rééquilibrage de la balance a débuté, il devrait se poursuivre au fil des années.