L’action climatique massive peut-elle révolutionner le système ?
Intrusion et blocage de l’aéroport de Lille pour protester contre son extension, c’était le projet d’Extinction Rebellion (XR) et d’autres mouvements citoyens ce samedi 9 octobre. Si leur chœur a été raillé par d’importants moyens policiers, de nouvelles partitions sont en production pour lutter contre l’anéantissement de la vie.
Connaissez-vous la théorie du centième singe ? 99 macaques ont acquis une technique. Un de plus l’apprend et c’est à toute la population que la technique se répand. Et si nous transposions ce concept de propagation à l’espèce humaine ? Pour Derzou, membre et cofondateur d’XR Lille (groupe de désobéissance civile en lutte contre l’effondre climatique), l’objectif principal est la massification. Il s’agit d’« atteindre une masse critique d’individus qui entrent dans l’action non-violente pour faire évoluer la société de façon assez radicale afin qu’il se passe quelque chose de grande ampleur et sur le long terme. » 3,5%, c’est le taux de la population à mobiliser pour qu’un changement de système s’opère, comme le montrent les travaux de Erica Chenoweth.
La chercheuse et professeure à l’université d’Harvard affirme qu’à partir de ce seuil, le mouvement aurait forcément des liens avec les élites économiques et commerciales, autorités politiques et religieuses, forces de l’ordre et fonctionnaires. Ces individus ne vivent pas en autarcie. Ils font partie de la population et entretiennent avec ses autres membres des relations familiales et amicales qu’ils poursuivront, peu importe le système. Pour parvenir à ces résultats, Erica Chenoweth a analysé des centaines de mouvements violents et non-violents du monde entier, actifs entre 1900 et 2006. Elle a également constaté que la probabilité de réussir se multiplie par deux pour les campagnes non-violentes. Cela s’explique en partie parce qu’elles sont « bien plus inclusives et représentatives en termes de genre, d’âge, de couleur de peau, d’affiliation politique, de classe sociale et de distinction entre urbains et ruraux ».
61 touches, 32 pédales. Pour les manier, le musicien s’installe seul à son orgue. Si la lutte contre la sixième extinction de masse a autant de touches et de pédales à actionner, tous les humains sont conviés. « Il y a pleins de moyens de participer à l’action de désobéissance civile : tous les rôles sont nécessaires et utiles. » (Antoine, membre XR Lille). Interventions anti-pubs, tags à la craie, manifestations, théâtre de rue ou occupations : le choix est libre.
La sixième extinction de masse
Ces 500 derniers millions d’années, des phénomènes naturels ont provoqué l’anéantissement massif de la vie sur Terre à 5 reprises. Dernière en date : il y a 65 millions d’années, les dinosaures disparaissaient à cause de la chute d’une météorite. Avec la disparition de plus de 50% des espèces animales terrestres en 40 ans, la 6e extinction de masse aurait commencé, cette fois-ci causée par l’Homme.
Pour chaque action, XR accueille et forme les volontaires pour sustenter ces spirales concentriques. Un risque demeure : « Se noyer dans l’inconscience, vouloir le plus facile parce que tout nous pousse à cela ». Pour Derzou, le problème est axiologique « on pense plus à nos centres d’intérêts immédiats qu’a la survie sur le long terme. En tant qu’êtres humains, on vaut mieux que cela. Nous devons développer une autre idée de ce qu’il faut pour le monde, pour les autres et pour soi ». Créer un nouvel imaginaire collectif, c’est un travail auquel nombre d’artistes s’attèlent, notamment le lillois Vito dans son dernier essai illustré Utopique.
Discours politiques ou scientifiques ?
On fait croire aux gens qu’on peut garder notre niveau de vie et résoudre les problèmes. […] Ce qui protège le système, c’est que les politiciens promettent des choses, ce qui nourrit l’espoir que l’action va être suffisante. Même si elle ne l’est pas, on a espoir qu’en votant Tartempion, ça ira mieux. » Le travail de déconstruction abyssal semble sonner la mort de l’espoir. Cela pourrait pourtant être le commencement de l’action. Se responsabiliser, c’est aussi angoissant qu’excitant. S’agit-il d’aiguiser son esprit critique quant aux discours politiques ? D’observer froidement les travaux scientifiques ? C’est justement en s’appuyant sur ces derniers qu’XR porte ses revendications : la reconnaissance de la gravité et de l’urgence ; la neutralité carbone d’ici 2025 ; l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes et la création d’une assemblée citoyenne.
Maud Lafaye
La notion de non-violence expliquée par deux spécialistes
Séverin Lahaye
Zoom
Le système de jeu de la non-violence
Le jour d’une action, XR aligne une formation précise. Les rebelles se répartissent dans différents postes auxquels ils ne sont pas cantonnés. Ils changent fréquemment de rôle, ce qui évite aux organisateurs d’être ciblés par la police.
En première ligne, les bloqueurs doivent rester stoïques face aux arrestations et aux bombes lacrymogènes. Ils sont soutenus physiquement et psychologiquement par les anges-gardiens en deuxième ligne (apport de café, nourriture et discussion).
Liant créativité et militantisme, les activistes fabriquent des banderoles. Et chez XR, ils sont accompagnés de clowns, qui enchainent numéros et galéjades afin de détendre les CRS pendant les blocages.
Mais il ne s’agit pas non plus de se moquer des flics. Diplomates, les contacts police sont eux aussi missionnés d’apaiser les tensions, de manière plus conventionnelle. Leurs mots d’ordre : « parler aux policiers en langage policier ».
En dernière ligne, les médiateurs supervisent l’action : ils veillent au bon respect de la non-violence et justifient le blocage auprès des passants retissant.
Une organisation discrète
Que seraient de bons joueurs sans un bon staff ? En amont, les organisateurs font leur boulot, en toute discrétion…
Avant de lancer l’appel à la mobilisation, les coordinateurs d’action tiennent la date et le lieu secrets, parfois jusqu’au jour même de l’action.
En interne, ils utilisent des messageries cryptées comme Signal ou Mattermost de manière à ce que les forces de l’ordre ne puissent être informées de quoi que ce soit. Sur ces chat, les rebelles utilisent des pseudonymes pour anonymiser leurs échanges.
Darius Albisson