La sensibilisation comme arme contre les préjugés autour de la santé mentale
Du 10 au 27 octobre se sont déroulées les semaines d’information sur la Santé mentale (SISM), dans les grandes métropoles françaises, comme à Lille. Organisées par les partenaires et acteurs locaux de la santé mentale, le but était de déconstruire les idées reçues qui peuvent exister lorsque l’on évoque les maladies mentales. C’était aussi l’occasion de prendre conscience de sa propre santé mentale à travers des méthodes autres que celles médicales, comme avec la sophrologie.
Le lundi 10 octobre 2022 était un lundi particulier puisque c’est en ce jour qu’a débuté la 33e édition des deux semaines d’information annuelles sur la santé mentale, avec comme thème l’environnement. Au programme : des conférences, des ciné-débats, des balades, des ateliers et même des expositions au sein de la métropole lilloise, pour comprendre ce qu’est la santé mentale et les conséquences de notre environnement global sur celle-ci. Selon l’Organisme Mondial de la Santé (OMS), la santé mentale est « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ».
Une définition large qui semble s’adresser à tous et dépendre de beaucoup de facteurs. Pourtant, « c’est un sujet qui reste encore très tabou et qui fait face à une perception négative », pour Maud Piontek, membre de l’Établissement Public de la Santé Mentale (EPSM), qui participe à la confection du programme des SISM. En effet, quand nous parlons de santé mentale, nous y associons machinalement les maladies mentales, la folie, les hôpitaux psychiatriques… Mais la santé mentale ne se limite pas à cela et est présente au quotidien, au même titre que la santé physique. À cause de cette fausse association, « une dramatisation de l’accès aux soins apparaît, certaines personnes pensant que ce ne sont que les « fous » qui peuvent tomber malades », comme le rappelle Maud Piontek. Pour les trois quarts des Français, un malade psychique est dangereux. Cette idée reçue sur la santé mentale vient aussi du fait qu’elle est peu évoquée au sein de la société. On se résigne souvent à parler des troubles qui tiraillent notre santé mentale, au motif que « ça ira mieux demain » ou bien que « tout est dans la tête ». Résultat : une méconnaissance sur les manières de prendre soin de sa santé mentale.
Comprendre pour mieux appréhender
Mieux faire connaître le terme de santé mentale était essentiel lors de ces semaines d’information, notamment pour Julie et Marine, membres du CRESHPY, le centre de ressources sur le handicap psychique dans la métropole lilloise. Elles organisaient dans le cadre des SISM une conférence intitulée « C’est quoi la santé mentale ? » au centre socioculturel Simone Veil, à Lille. Une conférence à l’aspect chaleureux et convivial, où café et thé étaient présents afin d’évoquer avec un peu plus de légèreté des sujets parfois lourds, comme la définition de la schizophrénie, de la bipolarité et des conséquences qui peuvent découler de ces maladies. Un diaporama et des vidéos ont permis d’aborder la santé mentale comme un état qui peut être troublé par plusieurs facteurs : l’environnement du travail, les problèmes familiaux, les relations amicales et amoureuses. Tout ce qui, au final, fait partie de la vie et peut nous affecter positivement ou négativement.
Dans des canapés, une vingtaine de personnes, de toutes catégories d’âges, était présente pour tenter de comprendre et aussi trouver de l’aide : comment aider un proche atteint d’une maladie mentale ? Comment détecter les premiers signaux ? Sommes-nous tous atteints ?
Selon l’OMS, un quart des personnes connaîtrait
au cours de sa vie un trouble psychique.”
Marine a tenté d’apporter des réponses, en expliquant que « n’importe quelle personne peut souffrir d’un trouble ». De nombreux signaux, placés sur une échelle de gravité, ont été présentés, tels que l’irritabilité, les troubles du sommeil, ou encore la colère subite chez une personne traditionnellement calme. L’OMS considère d’ailleurs qu’un quart des personnes connaîtrait, au cours de sa vie, un trouble psychique, preuve que le mal-être est présent au sein de la société. Le « trouble psychique » est une notion utilisée afin d’éviter le terme de « maladie mentale », souvent à connotation négative et imprécise, puisque comme l’a indiqué Julie : « On ne guérit pas d’un trouble psychique, on apprend à vivre avec et à le gérer, à contrario d’une maladie physique qui peut se soigner. »
Toutefois, ce n’est pas parce que l’on ne se sent pas bien une journée que nous sommes en dépression. « La santé mentale se caractérise par des passes, des hauts et des bas qu’il convient d’identifier pour pouvoir rebondir et éviter de sombrer », comme l’ont expliqué Julie et Marine. Encore une fois, le mantra « mieux vaut prévenir que guérir » s’applique.
Se reconnecter à soi-même
Briser le silence autour de la santé mentale permet à tous de prendre conscience de son état et d’agir en conséquence. Pour Laurence Trouiller, sophrologue et déléguée départementale de l’UNAFAM (Union Nationale de familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques), la crise du Covid-19 en 2020 a permis d’ouvrir des portes : « Nous n’avons jamais autant parlé de la santé mentale que pendant cette période. » Une période qui a été synonyme de solitude et de peur. Les amis et la famille n’étaient plus présents pour distraire des pensées négatives. De nombreuses personnes ont développé des troubles psychiques et les consultations psychologiques sont nettement plus importantes depuis cette période.
Les psychologues ne sont pas les seuls relais. Certaines personnes se tournent vers des médecines dites alternatives comme la sophrologie, afin d’apprendre à gérer leur santé. Les huit « sophro-balades » organisées par Laurence Trouiller dans la métropole de Lille et ses alentours permettaient de sensibiliser à une autre approche de la médecine. D’après Laurence Trouiller : « Prendre conscience de son environnement à l’aide de ses cinq sens, respirer et se reconnecter à soi-même constitue aussi une forme de traitement pour aider notre esprit à relâcher la pression. » La pression, le stress… des notions qui modifient notre santé mentale sur la longueur et qui depuis la crise du Covid-19, sont omniprésentes. La sophrologie propose un accompagnement en douceur lors des premiers signes de troubles psychiques et surtout, un accompagnement moins effrayant qu’une consultation psychologique.
Fédérer les acteurs entre eux
Au-delà d’une simple sensibilisation, les semaines d’information sur la santé mentale étaient aussi, comme le mentionne Maud Piontek, « l’occasion de connecter les différents acteurs de la santé mentale avec la population », afin qu’elle puisse prendre connaissance des structures prêtes à recueillir leurs confidences sur leur santé. Elles ont permis aussi de mettre en lien les acteurs entre eux, en vue d’allier leurs forces pour rendre la prise en charge plus facile. Ils n’ont toutefois pas de super-pouvoirs : l’accès aux soins reste un problème : les urgences psychiatriques, les centres médico-psychologiques sont débordés, tout comme les médecins.
Par Julie Capelle
Que pensent les Lillois de la santé mentale ?
Zoom sur… Les centres psychiatriques en difficulté
Si la parole autour de la santé mentale se libère, les centres de soins psychiatriques, eux, ont encore du mal à suivre. En effet, les établissements psychiatriques connaissent une importante et constante suroccupation. L’insuffisance de moyens et de personnel impactent grandement le traitement des patients toujours plus nombreux. C’est ce que soulignait notamment le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans son rapport du 3 juin 2022. Ce rapport appuie sur le fait que « les soignants et médecins sont accaparés par la recherche de lits, mettant de côté l’organisation des activités » ce qui a donc des conséquences sur le traitement des malades. Le manque de moyens des services hospitaliers entraîne des réductions de matériel tels que des lits. D’après Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, quelque 31 603 lits ont été supprimés en service psychiatrique entre 1993 et 2018. L’agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih) dans son rapport de 2018 stipulait que sur la population française, environ 424 000 patients ont été hospitalisés dont 35 900 dans les Hauts-de-France. L’Atih ajoute que parmi tous ces patients, environ trois-quarts ont entre 18 et 79 ans, tranches d’âges très impactées par la pandémie du Covid-19 (étudiants, travailleurs, familles…).
De plus, la pénurie de médecins en France n’arrange pas la situation et affecte le service psychiatrique des établissements. Enfin, si la pandémie a permis une prise de conscience de la population sur ce sujet, le long confinement a grandement affecté cette dernière entraînant d’autres hospitalisations. Ce qui, au vu de la situation actuelle des centres de soins psychiatriques, n’a rien amélioré. Une enquête menée par Santé Publique France a notamment révélé que pendant le confinement, la part de personnes dépressives a atteint les 19,9% contre 9,7% en 2017.
Par Camille Ducrocq