En Europe occidentale surtout, vieillir fait peur tandis que le statut de « jeune » est considéré comme moteur social majeur. Malgré une progression, la France reste en 2022 l’un des pays de la zone euro où le taux d’emploi des seniors est le plus faible.
La perte d’employabilité avec l’âge se remarque. L’exécutif réfléchit à la création d’un index des seniors de la même façon qu’il existe un index professionnel homme/femme. Le taux de recrutement des plus de 45 ans pourrait devenir un critère de notation des entreprises tout comme le taux de recours aux dispositifs de retraite progressive. Méconnu du grand public, le dispositif de retraite progressive tend vers une transition plus douce du statut de travailleur au statut de retraité, bien que ses conditions d’accès restent rigides. Le départ à la retraite est difficile pour certains dès lors qu’il est un changement de statut social. Mathilde* a ressenti ce changement et raconte : « Avoir un travail revient à avoir un rôle social aux yeux de beaucoup. Une fois à la retraite, il n’est plus le même ; on n’est plus reconnu comme quelqu’un d’actif dans la vie, à tort. […] Faire le deuil de ce rôle social est dur ; mon père a fait une dépression quand il est parti à la retraite. »
* dans un soucis d’anonymat le prénom a été modifié
La profession comme premier facteur de discernement
Le travail est une instance majeure d’intégration sociale. Des liens s’y tissent et la profession exercée n’échappe jamais aux conversations de café. Pour Dominique et Jean Dewitte, le départ à la retraite n’a pas été un frein au maintien d’une vie sociale remplie. « Nous avons la chance d’être entourés d’amis qui nous permettent, évoluant de façon toutes différentes, de vivre des moments très forts. » Pour d’autres, cela n’a pas été le cas. Selon Mathilde « dans l’imaginaire collectif quand tu es retraité, tu portes la casquette du retraité ». Le travailleur est généralement reconnu en tant qu’individu à travers le métier qu’il exerce, faisant de la retraite une catégorie sociale en soi. Après la question Que fais-tu dans la vie ? rares sont les gens qui me demandent ce que je faisais avant d’être à la retraite. » N’étant pas insérés dans la dynamique de productivité du travail entretenue par le capitalisme, l’inclusion sociale des seniors peut s’en voir amenuisée. Pour Josée, la colocation intergénérationnelle est devenue un moyen de maintenir des relations sociales. C’est à la fois une aide dans la gestion du quotidien et une réponse à la solitude.
« J’ai pris ma retraite pour m’occuper de mes petits-enfants »
Nayra Palacios– un couple de personnes âgées en balade
Les seniors tiennent des rôles sociaux et économiques conséquents. Ils sont souvent un soutien pour leurs proches, que ce soit financier ou matériel via l’aide apportée dans les familles pour la garde des enfants. Mathilde confie : « J’adorais mon métier, mais quand ma fille m’a annoncé attendre son deuxième enfant, j’ai avalé ma salive et sans trop d’hésitation j’ai pris la décision de prendre ma retraite pour l’aider à s’occuper de ses enfants. Aussi ordonnée soit-elle, élever deux enfants seule tout en poursuivant sa carrière n’allait pas être facile. On s’occupe de nos petits-enfants ainsi que de nos parents, on se préoccupe de nos enfants… mais qui prend soin de nous ? Je n’en veux à personne mais on oublie vite à quel point nous sommes présents pour nos proches. J’ai beaucoup aidé mes parents, j’aide encore beaucoup ma fille et mes petits-enfants. Ça demande parfois beaucoup d’énergie mais pour autant je suis heureuse de pouvoir le faire. »
Des aspirations semblables à travers les âges
La jeunesse n’est pas le seul élément moteur d’une économie florissante, il faut parvenir à renverser l’idée qu’elle est la panacée en matière de bien-être économique et social. Les aînés sont socialement présents dans des associations de tous ordres : « Si j’ai arrêté prématurément mon activité professionnelle quand mon état de santé s’est stabilisé, à la retraite j’ai pris le temps de faire des activités. » Ils jouent également un rôle conséquent dans l’économie nationale du fait de leur pouvoir d’achat.
Au temps du voyage, le collectif prime aussi. Là où le voyage initie les jeunes, il nourrit encore les aînés. Après une longue aventure débutée à Toronto, Dominique et Jean Dewitte écrivent : « C’est la première fois que nous quittions l’Europe. Notre destination : le Québec, lieu auquel nous avons longtemps rêvé. » Un périple où se sont retrouvées 38 personnes, âgées de 50 à 80 ans. « Depuis, la vie a repris son cours. Etant retraités, nous avons le temps pour partager alors que la vie quotidienne happe les actifs comme elle nous a happés. »
Zélie Nervet Lansoud Soukate
Zoom sur... Les colocations intergénérationnelles
A ne pas confondre avec un logement intergénérationnel où plusieurs générations vivent seulement sous le même toit, la collocation intergénérationnelle œuvre pour proposer un échange. L’idée est simple : en contre partie d’une chambre chez un sénior, un étudiant lui propose sa présence ou des services.
La précarité sociale des personnes âgées joue un rôle majeur dans leur fin de vie. En effet, l’isolement que ces dernières vivent engendre un certain relâchement personnel. Selon la Croix Rouge, « l’isolement est un facteur majeur de mortalité précoce chez les plus anciens ».
Ainsi, en ouvrant sa porte à un étudiant ou un apprenti, un sénior bénéficie d’une présence bienveillante. Les sentiments de solitude et d’isolement se voient diminuer grâce à des échanges agréables et conviviaux. La mise en place de colocation intergénérationnelle permet aussi de retarder le placement en maison de retraite d’un individu ; rester chez soi aide à conserver son autonomie.
En ce qui concerne l’échange procédé, il peut être de deux sortes : avec loyer ou avec menus services. Dans le premier cas, l’étudiant paye un loyer modeste afin d’occuper sa chambre, le second est lui sans contrepartie financière. Les services octroyés sont de l’ordre de faire les courses, sortir les poubelles, partager du temps ensemble, etc.
Pour assurer le bon déroulement d’une colocation intergénérationnelle, les deux participants vont s’engager avec une charte. Celle-ci encadre les relations mutuelles, les engagements liés au logement et le partage des pièces de ce dernier.
Candice Percheron
53 ans d'écart et en colocation
Rencontre avec Josée, retraitée, et Sacha, étudiant: une colocation intergénérationnelle.
Leila Chappey