La bande dessinée pour réinventer nos territoires, en toute sobriété

by Etudiants de l'Académie
Il est urgent de repenser nos villes. Dans sa BD Utopique ! publiée en 2020, Vito projette ses lecteurs dans ce à quoi pourraient ressembler nos villes (1) si la révolution écologique était enclenchée. L’imaginaire d’une sobriété heureuse, aux yeux du grand public, pour un changement radical de société. 

Penser local pour créer un imaginaire universel. Vito ne prétend pas disposer de plans précis et chiffrés à grande échelle, mais il s’appuie sur l’expérience de son quotidien de citadin. Il pointe les incohérences et absurdités des villes qu’il fréquente et réinvente un modèle urbain écologique et collectif. « Dans mes dessins, je jongle à la fois sur des contextes réels et sur l’imaginaire. Je me suis appuyé sur des villes où j’habite ou qui me sont familières (Hellemmes, Bailleul, Grenoble). Partir du réel permet de faire avec l’existant, et de proposer des solutions concrètes à des situations quotidiennes. Par exemple, l’aboutissement doit être la sortie du tout-voiture. Mais je sais très bien qu’on ne peut pas faire ça en un an donc je pars d’une situation où les classes populaires sont dépendantes de la voiture », confie-t-il.

Planche dessinée par Vito montrant un quartier de Lille (Hellemmes) avec une approche écologique et soutenable

Planche utopique de la commune d’Hellemmes – Vito

Contre les fléaux de la ville moderne (pollutions, manque d’espaces verts, déconnexion de l’homme à son milieu), les ambitions générales de l’auteur sont anciennes, proches de celles des « cités-jardin » (2) conçues dès la fin du XXe siècle : opposition à la ville industrielle polluée, développement de l’agriculture urbaine, faible densité de bâti et de population… Mais il y ajoute des solutions de notre temps comme l’installation d’éoliennes urbaines, de routes cyclables ou encore une flotte de véhicules électriques partagés.

La BD comme outil de propagande

La bande dessinée est un puissant médium pour partager une utopie. Plus accessible que de longs rapports scientifiques, le genre explose et la thématique écologique s’y invite, comme en témoigne le grand succès d’Un monde sans fin de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, publié en 2021. « La BD peut être un instrument de propagande car elle influence facilement la pensée. Blain est très imaginatif sur le point de vue graphique et visuel pour illustrer les problèmes énergétiques. Ça peut avoir un effet positif pour la prise de conscience du grand public sur l’énergie et le climat », affirme Vito, qui émet néanmoins quelques réserves vis-à-vis de l’ouvrage : « La deuxième partie du livre tourne en propagande pour le nucléaire car toutes les vraies problématiques sont à peine traitées. Il balaye la question des déchets en 3 pages et ne parle même pas de l’impact du réchauffement climatique sur cette énergie. »

De toute évidence, nous-autres occidentaux devons consentir à une diminution de notre confort matériel pour réduire notre impact climatique. Un bouleversement qui dérange une grande partie de la population imprégnée  du mythe de la croissance infinie et du bonheur matériel. La déconstruction de ce mode de pensée passe entre autres par la refondation collective de la conception d’habitat. Certes, la BD permet de diffuser le goût et l’imaginaire d’un mode de vie urbain et sobre, mais elle ne fait pas tout. Il faut que les formations en aménagement, en architecture et en urbanisme suivent.

Or, les écoles d’architecture ont du mal à sortir du modernisme, en témoigne l’auteur qui y a étudié 5 ans : « Le conditionnement débute dès les deux trois premières années d’archi. Je constatais déjà le problème de la mobilité urbaine, mais je n’osais l’évoquer ni dans les rédactions de géographie urbaine ni dans mes maquettes : je m’autocensurais. Dans la plupart des écoles, le dieu, le maître à penser de tous les profs, c’est Le Corbusier, l’architecte du modernisme qui voulait raser Paris pour y mettre des tours en béton (3). Mais pour eux, le modernisme c’était l’utopie de l’époque ! Maintenant, il y a peut-être un changement de génération. J’ai été invité en tant que dessinateur à l’école d’architecture de Bordeaux, et il commence à y avoir des ouvertures. Les Amish sont de sortie ! »

Darius Albisson

(1) L’auteur traite également des problèmes ruraux

(2) Dans son livre de 1898, To-morrow : A peaceful path to real reform, l’urbaniste britannique Ebenezer Howard imagine les « cités-jardin ». Cité-jardin — Wikipédia (wikipedia.org)

(3) Aussi appeler « plan voisin » Le plan Voisin, le projet de Le Corbusier qui aurait pu défigurer Paris – Paris ZigZag | Insolite & Secret

Billet sur la sobriété

 

Sobriété au travail, sobriété solidaire : dans ma valise il y a… toutes sortes de sobriétés. L’une d’elle a récemment chargé les malles du gouvernement : la sobriété énergétique.  Annoncé le 6 octobre par Elisabeth Borne, le plan de sobriété mise sur l’incitation plutôt que la contrainte. Champagne pour Mme Croissance, ruisseau de larmes pour Mlle Neutralité. 

Dans ma valise il y a… une petite poche dans le rabat droit. Plongez-y la main, vous y trouverez un bouquin.  Pierre Rabhi vous apprend à nager Vers la sobriété heureuse. Une « éthique de vie, source de satisfaction et de bien-être profond », qu’il n’illustre pas grâce aux BD, mais aux légendes :

Un pêcheur vient de finir son travail, sa barque est amarrée à côté de lui sur le bord d’une plage, son filet est étendu dessus et lui, il se repose. Passe un homme sérieux, qui regarde la barque :

« Monsieur, vous devriez être en mer à cette heure-ci !

– Pourquoi ?

– Enfin, pour gagner votre vie, vous n’arriverez jamais à rien en restant là à faire la sieste. Elle est à vous, cette barque ?

– Oui

– Oh, mais elle est petite

– Oui, elle est…

– Vous pourriez en avoir une plus grande.

– Et après ?

– Ben, après, vous pêcherez beaucoup plus de poissons !

– Et après ?

– Vous aurez gagné tellement d’argent que vous pourrez acheter un bateau encore plus grand !

– Et après ?

– Vous embaucherez des gens pour faire le travail à votre place…

– Et après ?

– Vous vous reposerez !

– Eh bien, c’est ce que je suis en train de faire. »

Pierre Rabhi l’affirme, l’être humain moderne est conditionné à l’insatiabilité. Quelle limite au « toujours plus » ? Je n’entrevois qu’une sombre caisse boisée, que les profondeurs de la Terre accueille (en toute sobriété). 

Maud Lafaye

Vidéo
L'utopie de Vito est-elle réalisable?

Dans cette vidéo, Maryvonne Prévot, historienne et professeure d’aménagement et de géographie à l’université de Lille, apporte son éclairage d’experte quant aux possibilités de réalisation du projet de ville sobre proposé par Vito. 

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