L’essor de la phytothérapie : l’exemple de la Covid-19
Ivanie Legrain
Dans le contexte de crise sanitaire et d’augmentation de cas de Covid-19, le Centre d’infection et d’immunité de l’Institut Pasteur de Lille (CIIL) s’est penché sur la recherche de remèdes naturels pour trouver un traitement. C’est en février 2022 que la molécule naturelle Phéophorbide A est identifiée afin d’inhiber le virus. Cette avancée vient s’inscrire dans le mouvement d’essor de la phytothérapie.
La famille des coronavirus préoccupe le CIIL depuis plus de dix ans. Famille de virus entraînant des maladies des voies respiratoires supérieures, elle s’est transformée en problématique majeure dès l’apparition du SARS-CoV-2 et le développement de la pandémie.
Dès 2020, les espoirs se tournent vers la molécule du clofoctol. Utilisée dans le traitement des infections des voies respiratoires ou orales, de nombreux chercheurs.es avaient émis l’hypothèse qu’elle serait également efficace contre le SARS-CoV-2. Cependant, ils se sont heurtés à un désintérêt des autorités et une lenteur administrative à délivrer le label de “priorité nationale”, entraînant un arrêt prématuré des recherches. C’est suite à cet échec que la piste des molécules naturelles est mise en lumière avec la découverte de principes actifs végétaux efficace contre le virus.
La découverte de Phéophorbide A
C’est sous la direction de Karin Séron, que les recherches se sont déroulées en collaboration avec le laboratoire de pharmacognosie de la faculté de Lille. Ce dernier étant spécialisé dans l’identification de principes actifs extraits de plantes, c’est par le biais du processus de fractionnement que l’activité antivirale de la plante a été testée.
Jeane Vassallo-Stevens
Ce processus a permis l’identification de la molécule Phéophorbide A au sein de la mallotus oppositifolius, plante originaire d’Afrique et de Madagascar.
Le Phéophorbide A est ce qu’on appelle une molécule inhibante. C’est-à-dire qu’elle rigidifie la membrane enveloppant le virus afin d’empêcher sa propagation vers des cellules voisines. Elle est donc efficace auprès de la catégorie des “virus enveloppés” tels que le SARS-CoV-2 ou bien l’herpès. Karin Séron souligne néanmoins une particularité : “C’est une molécule photo activable, cela signifie qu’elle ne sera d’aucune utilité en cas d’absence de lumière.”
Cette caractéristique condamne un usage traitant interne au corps humain, mais permettrait des usages externes plus étendus. En effet, de nombreux projets tels que la création de filtre à air ou de pulvérisateur de surface avec cette molécule rendraient les décontaminations beaucoup plus efficaces. Cette molécule étant d’une stabilité étonnante, elle peut rester figée jusqu’à vingt-quatre heures dans une pièce et s’active dès son contact à la lumière.
L'avantage de la phytothérapie
Il est important de ne pas confondre phytothérapie et homéopathie. Karin Séron rappelle cette distinction : “La phytothérapie est un traitement thérapeutique à base d’extraits de plantes ; l’homéopathie consiste en des comprimés dans lesquels les molécules naturelles sont diluées et dont les principes actifs sont amoindris.”
La chercheuse déplore cette tendance de l’imaginaire collectif à confondre les deux notions, et de fait, sous-estimer les vertus des plantes. Selon elle, la phytothérapie reste une science encore fragile, puisque la nature regorge de ressources encore inexplorées. Bien que celle-ci gagne en légitimité ces dernières années, elle se heurte encore à des problématiques comme le manque de financements, la difficulté à consolider les molécules sous forme de médicament ou encore le poids des grosses entreprises pharmaceutiques.
Cependant, avec près de 90% de la population qui continue de se soigner avec des plantes, elle représente une alternative non négligeable. De nombreuses ressources ne demandent qu’à être explorées et permettraient l’accès aux soins dans les pays les plus démunis. L’accès aux soins représentant des dépenses économiques trop importantes, ces pays ne sont pas en capacité de se les octroyer. Cette alternative pourrait alors être une solution et sauverait de nombreuses vies.
Maelys Roesy
ZOOM
La dualité médecine dure et médecine naturelle
La plante appelée Mallotus oppositifolius est originaire de Côte d’Ivoire. Dans le cadre de collaborations avec les pays dits du Sud, elle a été importée en France, parmi d’autres plantes, par un étudiant ivoirien en 2015.
Au sein de la faculté de pharmacie, Simon Bordage, enseignant-chercheur à l’Université de Lille, est un des coordinateurs du projet d’extraction de la fameuse molécule végétale. Au laboratoire de pharmacognosie, lui et son équipe s’intéressent aux produits naturels qui peuvent avoir un effet thérapeutique.
Travailler les molécules végétales pour leurs propriétés sur la santé entre dans le secteur de la médecine dite naturelle, comme la phytothérapie. Celle-ci s’oppose alors à la médecine conventionnelle, dure, qui crée des molécules chimiquement.
Le clivage entre médecine dure et médecine naturelle existe alors comme tel. Il reste cependant important de le nuancer.
« Il n’y a rien de dichotomique, explique Simon Bordage. Il ne faut pas oublier que les plus grands poisons sont dans la nature. » Cela explique pourquoi les laboratoires modifient chimiquement certaines molécules extraites de plantes afin de les rendre moins toxiques.
De plus, il nous faut retenir un aspect purement écologique : si des tonnes de plantes sont cueillies pour quelques milligrammes de principe actif, certaines espèces seront alors menacées d’extinction, si elles ne l’étaient pas déjà.
Alors, si la médecine traditionnelle reste légitimement ancrée dans nos sociétés occidentales, la médecine basée sur les plantes issues des pays du Sud a un avenir dans ces territoires. Simon Bordage en fait un but : « Ici, mon équipe et moi cherchons aussi à soigner les populations localement, avec leurs propres plantes. »
Angèle Truchot