Le mentorat au service de l’emploi des jeunes issus de l’immigration
Favoriser l’insertion sur le marché du travail par le mentorat, c’est la mission que s’est fixée Duo for a job. Le programme a pour but de former des « duos intergénérationnels et interculturels », mettant en relation des jeunes âgés de 18 à 33 ans issus de l’immigration, souvent réfugiés, avec des mentors bénévoles de plus de 50 ans, afin de les aider dans leur recherche d’emploi. Créée en Belgique en 2012, l’association s’est lancée en France en 2019, puis très récemment à Lille en 2021.
Duo for a job est parti d’un double constat : d’un côté l’inégal accès des personnes immigrées, et notamment des jeunes, à l’emploi, et de l’autre le manque de valorisation des compétences des personnes de plus de 50 ans. Pour Éléa Z., chargée de programme à l’antenne de Lille depuis janvier, cet inégal accès « découle du fait d’être un jeune et en plus un jeune issu de l’immigration ». « On sait que le chômage chez les jeunes c’est déjà un problème au global, et nous, les jeunes qu’on accompagne, ils ont en plus plein de freins et font face à plein de choses qui les ralentissent dans leur cheminement », explique-t-elle. Discrimination à l’embauche, absence de réseau, méconnaissance des codes, sont autant de facteurs qui peuvent compliquer la recherche d’emploi. Le mentorat est alors l’occasion pour le mentor de partager ses connaissances et son réseau au mentoré, tout en lui montrant les dispositifs et les aides auxquels il peut avoir accès. « C’est le mentor qui va lever les freins avec le jeune », en l’aidant par exemple à rédiger son CV, ou à préparer des entretiens d’embauche, gratuitement.
Un accompagnement régulier et à double sens
La particularité de Duo for a job, c’est la régularité de l’accompagnement. Le duo se rencontre 2h par semaine pendant 6 mois, le suivi est donc personnalisé. De cette manière, l’association entend se différencier d’autres dispositifs d’aide à l’insertion, qui n’ont pas forcément le temps ou les moyens d’offrir un accompagnement individuel aussi poussé. Pour Christian, mentor depuis 6 mois, c’est ce qui en fait sa réussite : « Le côté systématique de la rencontre hebdomadaire, c’est ça, la clé du succès. D’une semaine à l’autre, on met en place des plans d’action, et on voit où on en est à chaque fois. Avec ce système, il y a forcément un avancement, une progression. » Selon Constance C., directrice de l’antenne de Lille, 7 jeunes sur 10 trouvent un emploi, un stage ou une formation à la suite du mentorat.
Pour Éléa, le programme est gagnant-gagnant, puisque le mentoré reprend confiance en lui, et le mentor en tire également des aspects positifs. Ce dernier bénéficie d’une formation de 4 jours, afin de l’aider à se préparer à accompagner un jeune, et développe ainsi lui aussi de nouvelles compétences. Un coordinateur ou une coordinatrice accompagne également chaque duo pendant toute la durée du mentorat : « ce qui m’a plu c’est le côté très encadré, très structuré de Duo for a job. Ça m’a conforté dans le fait que j’allais me lancer dans un truc que je ne connaissais pas, mais où je n’étais pas seul » confie Christian. Les chiffres le prouvent : 9 mentors sur 10 veulent renouveler l’expérience.
L’échange et l’humain au cœur du programme
Le mentor et le mentoré ont des parcours de vie très différents. Alors pour que le mentorat fonctionne, Duo for a job tient à former des duos bien accordés, en étudiant chaque profil à la loupe. Après un rendez-vous individuel avec chaque mentor et chaque jeune, l’équipe encadrante détermine les meilleurs « matchs », en prenant en compte par exemple la personnalité, les loisirs, les langues parlées ou l’activité professionnelle du mentor et celle visée par le mentoré. « Quand on voit quelqu’un toutes les semaines plusieurs heures, il y a forcément du lien qui se crée, et la relation de confiance vient aussi du fait qu’on essaye de faire des paires qui marchent », constate Éléa.
Ce lien entre les deux participants, c’est ce qui fait la force du programme : « Au bout de quelques semaines, il y a une vraie connivence qui s’installe », explique Christian. Selon lui, « il n’y a pas de duo identique, c’est de l’humain ».
Au delà de l’emploi
Les mentors n’accompagnent pas seulement les jeunes sur les questions liées à l’emploi. « On parle d’emplois, mais il y a plein de freins périphériques : santé, logement, mobilité, garde d’enfants, titre de séjour, etc. une personne n’est jamais que son travail, elle est plein de choses. » L’aide peut donc se faire sur ces sujets aussi, par exemple pour les démarches pour obtenir des titres de séjour.
Après les 6 mois officiels du programme, les équipes de Duo for a job recontactent le mentoré à 12 et 18 mois, pour savoir où il en est, autant au niveau de sa situation professionnelle que de ses conditions de vie en général : « Quand on creuse un peu, on a des gens qui nous disent qu’il y a eu des avancées sur des démarches et qu’il y a des situations qui se débloquent », explique Éléa. De même, il arrive souvent que le duo garde contact même après la fin officielle de collaboration.
Les effectifs sont encore relativement faibles à l’antenne de Lille, mais les bénévoles et l’équipe Duo for a job sont motivés : « On est forcés à rien si ce n’est que ça fonctionne, et on a tout intérêt à faire en sorte que ce soit le cas. »
Mathilde Lenouvel
ZOOM sur…
Les discriminations à l’embauche, une lutte vaine ?
Il y a discrimination à l’embauche lorsque le choix de recrutement d’une personne est basé sur des
critères autres que les qualifications professionnelles des candidats. Ainsi, un employeur ne peut traiter
différemment un candidat au recrutement, ou un salarié, en fonction de son âge, ses origines, son état
de santé, ses opinions politiques, son identité de genre, etc.
Le site officiel de l’administration française, Service-Public.fr, rappelle que les discriminations à
l’embauche, comme toutes les discriminations au travail, sont interdites par la loi (article L1232-1 du
Code du travail). Toute plainte peut donc mener à une possible sanction devant un juge, allant jusqu’à 3
ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Selon un sondage de l’Ifop publié en 2016, « 4 français sur 10 ont déjà été victime d’une discrimination à
l’embauche ». Mais il existe des manières de lutter contre les discriminations à l’embauche. Des
associations et organisations, comme Duo for a job, préparent et accompagnent les personnes en
recherches d’emploi dans les processus de recrutement.
Aussi, le Défenseur des droits (DDD), une institution créée lors de la révision constitutionnelle de 2008,
est un autre outil de lutte contre les discriminations. Toute personne qui estime avoir été discriminé peut
le saisir. L’institution a aussi mis en place le site internet antidiscriminations.fr et un numéro, le 3928, qui
permettent à chacun d’entrer en contact avec des juristes en mesure d’aider les personnes victimes de
discriminations à mener leurs recours en justice.
Sarah Letessier