Lille-Naplouse, quand l’entraide traverse les continents
Depuis 1998, Lille et Naplouse, en Cisjordanie, sont jumelées. L’occasion de coopérer notamment dans le domaine du patrimoine, et de sensibiliser la population lilloise à l’occupation israélienne.
Un continent, 4500 kilomètres, 50 heures de voiture. C’est ce qui sépare Lille de Naplouse, sa jumelle palestinienne, située au nord de Jérusalem. Les deux villes sont liées depuis 1998, et coopèrent dans plusieurs domaines. Mais que peut un partenariat entre deux villes face à l’immensité des défis auquel fait face Naplouse ? Prise dans le conflit entre Palestine et Israël, la jumelle de Lille a vécu plusieurs drames récemment. Le 22 février, une incursion militaire israélienne a causé la mort de onze Palestiniens. Deux jours plus tard, deux Israéliens ont été tués par balle à Huwara, non loin de là, provoquant des heurts dans toute la région.
Le patrimoine nabulsi, un sujet profondément politique
Naplouse est une ville de 170 000 habitants qui abrite plusieurs lieux saints, dont la tombe de Joseph. La “petite Damas” est jumelée avec Lille depuis 1998, sous l’impulsion du maire socialiste Pierre Mauroy et de l’édile nabulsi Ghassan Shakaa. Malgré les multiples changements d’élus locaux, la coopération entre les villes est restée étroite. En septembre dernier, une délégation menée par le Premier Adjoint au Maire de Naplouse Husam Shakhshir, a été accueillie à Lille, peu avant le vingt-cinquième anniversaire du jumelage. Elle portait sur le Nablus Boulevard, un projet de rénovation d’une ancienne centrale électrique au centre de la ville.
Celui-ci doit s’inspirer d’exemples lillois de revalorisation du patrimoine urbain, comme la Gare Saint-Sauveur. Ce genre de réhabilitation doit en principe inspirer les urbanistes nabulssi. Ceux-ci doivent en échange apprendre à leurs homologues lillois comment le centre-ville nabulsi, où s’entrelacent espaces publics et privés, s’est structuré dans le temps. Comme l’explique l’élue municipale Vanessa Duhamel (Modem), ‘’il ne s’agit pas pour Lille d’aider Naplouse, mais d’échanger entre partenaires égaux en droits comme en qualité, fussent-ils provisoirement inégaux en moyens financiers’’.
Malheureusement, la préservation du patrimoine nabulsi fait face à de nombreux obstacles. Il a été endommagé par des tremblements de terre et par le conflit israélo-palestinien. L’élue municipale Vanessa Duhamel (MoDem) pointe le “risque de destruction par l’occupant Israélien” d’infrastructures financées par des contribuables européens, et rappelle que cela a déjà eu lieu plusieurs fois. De surcroît, l’urbanisation galopante noie les bâtiments historiques, insuffisamment protégés par une administration palestinienne déliquescente. Pour beaucoup d’habitants vivant dans des conditions matérielles précaires, le patrimoine est un luxe qu’on peut difficilement se payer.
Coupure de presse extraite du journal “Lille actualités” de juin-juillet 1998 sur la signature du jumelage
© Archives municipales de Lille
A Lille, un rôle de sensibilisation
Lille, une ville historiquement ancrée à gauche, affirme son engagement progressiste à travers son soutien de Naplouse. La cause palestinienne est en effet l’un des sujets internationaux qui tient à cœur la gauche occidentale. Ce soutien est incarné par la communication de la ville, qui se démarque de celle de l’État. “La Ville de Lille souhaite […] un gel des accords privilégiés avec Israël afin de faire pression sur le gouvernement israélien et d’accélérer la résolution du conflit”, pouvait-on lire sur le site de la mairie lorsqu’elle avait “mis en veille” son jumelage avec Safed, une ville israélienne, en 2014.
L’association Amitié Lille-Naplouse s’inscrit dans cet engagement, notamment en sensibilisant la population lilloise à la question israélo-palestinienne. En plus d’envoyer des bénévoles sur le terrain, l’association organise des actions de solidarité, comme ce rassemblement prévu le 5 mars en hommage aux victimes du raid mené le 26 février. “Nous espérons une prise de conscience plus marquée de la part des pouvoirs publics”, déclare Abd-Elbasset Abaidia, président d’Amitié Lille Naplouse. “Lille à elle seule ne résoudra pas les conséquences de l’occupation Israélienne sur la population de Naplouse ; elle ne peut qu’y contribuer”, souligne Vanessa Duhamel.
Mattis Habib
Zoom sur les jumelles
Lille, au cœur de la coopération internationale
Dans le sens d’un rapprochement global des villes européennes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Lille a lié des partenariats avec nombre de villes aussi bien en Europe que dans le monde.
Premières en date, les villes de Lille, Cologne, Rotterdam, Turin, Liège et Esch-sur-Alzette (respectivement en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, en Belgique et au Luxembourg) s’unissent dans le cadre d’un multipartenariat formé en 1958. L’idée derrière, promouvoir une “construction européenne” et “l’apprentissage réciproque de la langue du partenaire”, selon les termes du site de la mairie de Lille. Suit la ville de Leeds au Royaume-Uni, qui en 1968 s’associe, “dans un même souci de solidarité et de promotion du vivre ensemble”.
“Le monde est mon village”, disait Pierre Mauroy, ancien maire de Lille de 1973 à 2001. A l’image de cette citation, l’homme politique a tenté d’ouvrir les partenariats de la ville du Nord, en témoignent les jumelages entrepris durant son mandat. C’est ainsi qu’en 1978 sont entrepris l’union de Lille avec Saint-Louis au Sénégal, puis avec la ville ukrainienne Kharkov la même année (alors encore en Union soviétique, raison pour laquelle le jumelage a été reconduit en 1998).
Pierre Mauroy se tourne vers Valladolid (Espagne) en 1987 et Erfurt (alors en République démocratique allemande) en 1988. Enfin, quelque temps plus tard, il n’hésitera pas à initier, au Moyen-Orient, des jumelages diplomatiquement plus sensibles. A été inauguré en 1988 un jumelage avec la ville de Safed qui a débouché sur une importante coopération médicale entre les deux villes. Mais, dans le même temps, la ville de Lille multiplie les contacts avec la ville palestinienne de Naplouse, qui mène à son jumelage en 1998.
Dernière en date, c’est la ville polonaise de Wroclaw qui s’associe à Lille en 2013 après un rapprochement depuis 2009, symbole de l’importante population polonaise immigrée dans le Nord dans les années 1920-1930.
Simon Ecotière