Rire de la maladie et de ses propres traumatismes : c’est le choix de plus en plus d’humoristes français, sur scène ou par écrit. L’objectif ? Ne plus résumer les individus à leur maladie tout en l’acceptant. Une occasion de poser un problème de fond, et des questions au Loko Comedy Club.
« Quand j’étais petite, pour me punir, on me sortait du coin. » Dans la salle hilare du Montreux Comedy Festival de 2017, Florence Mendes raconte son quotidien d’autiste Asperger. Un pari risqué mais qui permet de lever, au moins un peu, le tabou sur l’autisme. Cette explosion de discours humoristiques sur la toile et sur scène ces dernières années amène son lot de réflexions sur notre société, son rapport à la maladie et, par extension, à la mort. En fin de compte, cette réaction positive face au diagnostic n’émanerait-elle pas d’une indisposition à réagir ? Pire, ne serait-ce pas l’expression d’un appel à l’aide ? En somme, pourquoi rire du drame ?
Rire de soi
Le fardeau humain est sa recherche de transcendance, d’immortalité ; la maladie incarne, face à cela, le retour à la réalité de sa condition : imparfaite et mortelle. Cette phrase, aussi cinglante soit-elle, met d’accord la plupart des grands philosophes, comme Nietzsche, Camus ou Épicure.
L’humour est en ce sens un très bon moyen de confesser et d’accepter son état de santé, en en faisant même une arme. Nicolas, stand-upper lillois de 21 ans, confie que les sketchs sur sa maladie de peau ont été une sorte de début de sa pratique : « J’ai posté ça sur les réseaux il y a deux ans environ… et ça a plu ! Je ne m’y attendais pas mais j’ai eu beaucoup de retours très positifs. » Il l’assure, sa maladie n’est ni grave ni mortelle, mais il raconte ses premières appréhensions : « Au moment du diagnostic, je me suis dit que j’allais mourir ! »
Du point de vue de Nicolas, cet humour tend plus vers l’autodérision que vers un véritable enjeu d’acceptation. En revanche, Alexandra Brijatoff et Camille Hoppenot font un autre pari : rire d’un cancer. Dans leur album J’peux pas, j’ai chimio, paru en 2019, les autrices racontent les longues et douloureuses séances de chimiothérapie du père d’Alexandra, et l’expérience de Camille, atteinte du cancer du sein. Elles insistent sur la portée de leur BD : le but n’est pas de rire du cancer mais de mettre de l’humour dans l’épreuve de la maladie. « Nous savions que ce livre pourrait en aider beaucoup, avec les quelque 380 000 cas recensés en 2019. »
De ce point de vue, une étude de l’institut japonais PLOS (2019) révèle que le meilleur moyen de combattre l’anxiété, le stress ou la dépression, conditions récurrentes accompagnant tout type de maladie, est le rire. Il libère en effet « des endorphines, détend le muscle du diaphragme et libère les tensions ». Un essai auprès de 56 patients atteints de cancer et âgés de 40 à 64 ans : chaque jour était programmé une séance de rire. En parallèle, un groupe témoin d’une centaine de personnes n’a subi aucun traitement. Au final, les résultats de cette thérapie ont eu des effets ressentis quasi unanimes : une réduction de la douleur et une amélioration du fonctionnement cognitif deux mois plus tard. Dans un cas général, rire fait baisser les symptômes et rallonge l’espérance de vie du malade. Cependant, aucune fonction de remède miracle.
Humaniser
En 1673, Molière était l’un des premiers à rire du malade sans sa pièce Le malade imaginaire. Le scandale fait rage à l’époque, quand le malade était encore considéré comme martyr de Dieu. Dans sa pièce, il dénonce notre peur de la mort, retranscrite en l’autre par une inquiétude et un soin exacerbés.
Au XXIe siècle, les choses n’ont pas changé. « Le malade, une fois diagnostiqué, n’est plus que malade : ça fait toute son identité », déplore Camille Hoppenot : il faut redonner au malade son identité. La société moderne considère encore la maladie comme une faiblesse, poussant parfois à la cacher. L’humour redonne une certaine autonomie et une personnalité à son auteur, c’est une façon de ne pas s’effacer derrière l’imaginaire passif et stigmatisé du malade.
Il est donc indispensable d’arrêter de prendre en pitié ou d’affaiblir ceux-ci. Caroline le Flour, dans son sketch La Chauve SouriT, utilise le rire afin de s’échapper de l’absurdité et de l’indélicatesse de certaines personnes. Diagnostiquée d’un cancer et d’infertilité, elle s’amuse de certaines remarques maladroites : « On m’a accusée d’inventer mon infertilité, que c’était un prétexte pour ne pas avoir d’enfants. »
Preuve d’un tabou sociétal, certains dénoncent en ce type d’humour un « trauma dumping » (littéralement « déversement de traumatisme »), pratique de plus en plus populaire depuis l’avènement des réseaux sociaux. On accuse le voyeurisme du public tout comme la maladresse des auteurs d’afficher leurs expériences traumatisantes, sans que personne n’ait rien demandé.
Charlotte Chauvel
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Peut-on rire de tout ?
Cette vague question est souvent discutée. Néanmoins, la réponse reste propre à chacun. Pierre Desproges disait « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. » Et si, aujourd’hui, il est courant d’entendre qu’ « on ne peut plus rire de rien », qu’en est-il au regard de la loi ? Des propos tenus dans la sphère publique sont condamnables si le second degré n’y est pas clairement explicite. Les délits dits « de faible gravité » sont généralement liés à l’anonymat, à la vie privée ou à la présomption d’innocence. Les insultes et mensonges (diffamation, dénonciation calomnieuse et injures) sont considérés comme des faits de gravité intermédiaire. Enfin, un individu peut être puni sévèrement s’il fait l’apologie ou la négation de crimes contre l’humanité (incitation à la haine, négation de la Shoah ou de l’esclavage, etc.) Les humoristes, par leur statut, ne sont quasiment jamais condamnables car le second degré dans un spectacle d’humour est évident pour l’auditoire, bien que quelques exceptions existent, à l’instar de Dieudonné.
Emma Duwez