La mairie de Lille mise sur le Hip-hop avec Le Flow
Inauguré en 2014 dans le quartier de Moulins à Lille, Le Flow est une structure municipale dédiée à la culture du Hip-Hop, avec une ambition double de professionnalisation et démocratisation. Ce projet, au service du Hip-Hop semble surtout répondre à une dynamique de réappropriation culturelle menée par la municipalité depuis quelques années, qui s’assure ainsi un contrôle de la vie du quartier.
Une fois la nuit tombée, ce cube entièrement vitré de 2 500 m2 fait office de phare dans le quartier de Moulins. La mairie affiche très fièrement et explicitement sa relation avec le Hip-Hop. La première mission du Flow : permettre une voie plus facile vers la professionnalisation aux artistes. Mais l’ambition est double : la mairie souhaite aussi ouvrir cette culture à un public plus large. Lucie travaille comme responsable communication, elle explique : « Le Flow s’inscrit dans un processus de démocratisation du Hip-Hop. » Cela se traduit par des ateliers, des conférences ou des concerts, ouverts au public et gratuits dans certains cas.
Dynamique municipale
« Je pense que ça venait d’une volonté de contrôler un peu plus la vie culturelle, et en tirer profit, explique le rappeur Mwano. Et que ça a aussi un lien avec la gentrification de ces quartiers. » A la suite de cette gentrification, la nouvelle population qui s’installe dans ces quartiers ne se plaît pas dans la vie culturelle nocturne qu’elle y découvre alors : « Il y a eu beaucoup de plaintes contre les nuisances sonores. » Des bars et cafés ferment progressivement, et avec eux c’est toute l’identité de ces quartiers qui se retrouvent lissée.
Le Hip-Hop n’a pas attendu la municipalité pour être un pilier de la vie culturelle lilloise. De nombreux collectifs et associations étaient déjà présents, comme le squat Le Ch’ti Darras qui proposait ateliers d’écritures, d’enregistrement et concerts, ouverts à tous. Ce lieu emblématique sera néanmoins rasé, pour laisser place au CECU, reprise municipale de ce qui existait déjà. Au moment de l’inauguration du projet, beaucoup de ces acteurs affichaient déjà des doutes. La création du Flow s’inscrit dans une dynamique entreprise depuis bien plus longtemps par la mairie de Lille, remontant à 2004. La ville est alors nommée « capitale européenne de la culture », bénéficiant d’un budget plus que conséquent. Cet argent est investi dans les quartiers populaires de la ville : Moulins et Wazemmes. La dynamique est lancée avec les Maisons folies en 2004, suivies de la rénovation de la Gare Saint-Sauveur en 2009 et de la création du Flow.
Le rappeur Axiom à l’origine du projet
A l’initiative du projet, Axiom, un rappeur du quartier qui souhaite donner plus de chances à cette scène lilloise déjà bien implantée. « C’est un cadeau que j’ai fait à ma ville et mon quartier de naissance, en cohérence avec mon histoire et ma passion de la culture Hip-hop », raconte-t-il aujourd’hui. Dix ans de réflexion, deux de travaux et 12 millions d’euros plus tard, le premier Centre Eurorégional des Cultures Urbaines ouvre ses portes. Pendant l’inauguration du 4 octobre 2014, la maire Martine Aubry ne manquera pas de mettre l’accent sur ce titre : la première ville en France à miser sur cette culture. Le rappeur et la maire se sont entendus sur un point, le CECU, renommé Le Flow, apparaît comme une réponse à un problème social présent dans le quartier.
Relation ambigüe
Il est impossible de nier l’impact bénéfique du Flow sur la scène lilloise du Hip-Hop. Que ce soit la dynamique que le lieu apporte au quartier avec les concerts, la démocratisation de cette culture qu’il permet ou l’aide professionnalisante offerte aux artistes. Mais en réalité, seulement une poignée bénéficient d’une résidence et d’un accès gratuit aux équipements. « On favorise la qualité à la quantité », justifie Lucie. Pour les autres, un principe basique de location prend le relais. Première fracture avec l’institutionnalisation : des délais à rallonge, un système administratif plus que conséquent, et un budget restreint. « Ça fonctionne pas avec cette culture, qu’est une culture de l’urgence », explique Naïma, employée du Flow. Une critique légitime se pose sur la relation que la mairie tente de nouer avec une culture que les institutions ont longtemps méprisée. « Le Hip-Hop s’est toujours fait sans les institutions et il y a un truc très bizarre de devoir dépendre des gens qui crachaient dessus il y a 20 ans. », insiste Mwano. Culture Hip-Hop et municipalité semblent alors profiter l’une de l’autre, reste à savoir à qui ce centre est-il vraiment le plus bénéfique.
Par Adèle Beyrand
Présentation du Flow
Par Pierrot Destrez
3 questions à l'artiste B959
Dessinateur et illustrateur, B959 a réalisé d’avril à septembre 2022 une résidence artistique au Flow. Il a répondu à nos questions.
M.H : Qu’est-ce que vous avez pu faire lors de votre résidence artistique au flow ?
B959 : J’ai découpé ma résidence en plusieurs temps. Le premier temps de résidence, je l’ai partagé avec Mathias Courtet (directeur artistique du centre d’art contemporain Le Kiosque, Mayenne) pour travailler l’écriture d’une édition. Mais j’ai également réalisé plusieurs œuvres comme des personnages en bois mais également une peinture sur le mur dans l’espace d’exposition car j’avais envie d’expérimenter plusieurs choses.
M.H : Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
B959 : Premièrement, et cela peut paraitre bête : un espace sur un temps dédié, pouvoir allouer un temps à ma pratique. Ensuite, l’accompagnement technique, permettant la réalisation de certaines œuvres. Et inévitablement la possibilité de faire cette énorme fresque murale dans la ville, extrêmement visible avec une grande superficie.
M.H : Pourquoi avoir choisi le Flow en particulier ?
B959 : C’est un peu un concours de circonstances. Cela m’a été proposé par Sylvain, aujourd’hui directeur du Flow. Mais aussi, je trouvais cela intéressant de venir me chercher alors que je ne suis pas un graffeur. La référence Hip Hop est présente dans mon travail, donc j’aime bien l’idée de venir à un endroit où je suis en décalage mais néanmoins complétement lié au sujet et d’apporter une imagerie plus inattendue.