Le couple mal assorti des études et du handicap, entre lune de miel et ruptures
« Les aménagements, c’est vital », affirme Loane de but en blanc. Cette étudiante en médecine rédige tous ses examens à l’ordinateur et bénéficie d’un tiers-temps. Mathilde, elle, bénéficie d’une dispense d’assiduité. « Mes médicaments m’empêchent de me lever le matin parfois, mais si je ne les prends pas, je ne dors pas », précise-t-elle, d’où l’importance que ses absences n’impactent pas sa réussite scolaire. Ces aménagements sont accordés par les BVEH, répartis sur quatre campus lillois, qui ont accompagné 1595 étudiant-e-s sur l’année scolaire 2021-2022. Parmi leurs initiatives, on trouve les aménagements d’études qui sont examinés en commission après présentation par l’étudiant-e de justificatifs nécessaires. Aussi des propositions de job dating et d’aide à l’insertion professionnelle dont les étudiant-e-s sont informés par mail. Loane avoue cependant ne pas beaucoup y participer : « Je ne vais pas entrer dans le monde du travail avant longtemps avec mes études, donc je ne vois pas vraiment l’intérêt. »
Le rêve à l’épreuve de la réalité
Gros bémol, les aménagements ne suffisent pas à compenser l’exclusion matérielle et émotionnelle dont souffrent ces étudiants. « C’est bien de penser aux améliorations, mais j’aimerais que la fac mette les moyens de ce à quoi j’ai déjà droit », nous dit Loïs, qui souffre du syndrome d’Ehlers-Danlos, une maladie poly-articulaire qui le fatigue et rend ses déplacements difficiles. Il a normalement accès aux ascenseurs du campus, mais ajoute amèrement que ceux-ci « ne fonctionnent jamais ». « C’est même pas des vrais ascenseurs, c’est des monte-charges ! », renchérit Mathilde qui nous amène à l’un desdits ascenseurs, en effet plus adaptés pour transporter des chariots que des étudiants. Être en situation de handicap les isole et le manque de communication entre les BVEH et l’équipe éducative n’arrange pas cet état de fait. « On doit faire toutes les démarches seuls-e-s », regrette Loïs tandis que Mathilde s’agace, « Il [Le BVEH] s’arrête à l’envoi de la paperasse et des convocations et nous on doit envoyer vingt-cinq mails à tous les profs. Ils s’en foutent de nous. » La frustration transparaît dans presque tous les entretiens.
Lesélèves qui trinquent
« Les aménagements sont censés nous aider, mais les profs ne font pas attention, », déplore Lisa. Étudiante en IAE, elle travaille dans le BVEH de son campus en étant elle-même handicapée par son épilepsie et connaît les deux faces de la situation. Si elle croise parmi le personnel accompagnant des gens « incroyables et très présents », ses professeurs ne sont pas assez informés. Mathilde plussoie : « Certains profs sont des perles, mais il n’y connaissent rien. » Ils ne sont apparemment pas les seuls. Les témoignages défilent lors des entretiens : certains profs refusent d’appliquer des tiers-temps, d’autres décident d’évaluer eux-mêmes la légitimité des handicaps ou de faire des remarques intrusives basées sur des idées reçues. Un constat inquiétant, surtout lorsqu’on sait que 80 % des handicaps sont invisibles. « Il faut arrêter de réserver les sujets du handicap au BVEH et sensibiliser aussi les profs pour qu’ils puissent nous recevoir dans de bonnes conditions. Mais on n’a pas le budget pour des améliorations, c’est ça le fond du problème », explique Loïs. Et Loane de conclure sur un ton rieur, « au moins, ils essaient. »
Noa Littardi
Handifac, une association d’aide à l’écoute
A l’université de Lille, plusieurs interlocuteurs et associations existent afin d’aider les élèves en situation de handicap. Les BVEH et l’association Handifac s’efforcent de contribuer à une meilleure adaptation de la vie étudiante aux besoins de chacun. Thomas Desprez, membre Handifac, s’exprime sur le sujet.
Avec environ 1 500 étudiants et personnels en situation de handicap au sein de l’université, l’association Handifac initie des projets, et participe à des évènements pour répondre au mieux à la demande. De nombreuses sensibilisations sur le handicap ou de formations d’aides humaines sont proposées. C’est aussi par le biais de cette association et d’un rendez-vous que la communication peut être établie entre l’élève et sa faculté.
Certains questionnent l’efficacité de ces projets dans la vie quotidienne des étudiants. Pourtant, l’association, située sur le campus Cité Scientifique, peut aider à la mise en place d’aménagements pendant les cours ou lors des examens.
Des progrès encore possibles ?
Thomas parle d’un manque de visibilité : certains étudiants ignorent son existence et ne peuvent donc être aidés. Pour lui, « il y aura toujours quelque chose à faire », que ce soient des formations pour tous (étudiants et professeurs) ou des temps d’échange et de partage plus fréquents sur les campus. Il insiste sur le fait que tout dépend de comment chacun se voit et veut être vu, l’adaptation est le maître-mot.
Et même si des améliorations sont nécessaires, « la vie est une sorte d’aventure, on peut explorer des choses, des chemins et continuer d’avancer », pour lui chacun réussit à sa manière à vivre comme il le souhaite, et c’est le plus important.
Lola Gentilhomme