Des solutions face au manque d’enseignants teintées de scepticisme
Posted On 2 novembre 2023
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Trois mille contractuels ont été embauchés cette rentrée pour pallier le manque, un record. Beaucoup d’entre eux n’ont pas le CAPES et ont été recrutés en CDD à temps plein ou partiel. Si c’est une solution rapide, elle ne semble pas suffire. Pour son livre Prof, Anna Benjamin, journaliste spécialisée dans l’éducation, s’est immergée dans ce métier. Son expérience permet de commencer à comprendre pourquoi l’emploi massif de contractuels tel qu’il est effectué aujourd’hui, n’est pas une solution à long terme. “Quatre jours après un entretien de 30 minutes, j’ai reçu un avis favorable et me suis retrouvée en charge de six classes.” Ils et elles sont donc embauchés rapidement et peu formés. Au cours de son immersion, elle regrette l’absence d’un tuteur et explique n’avoir eu que quelques formations en ligne. Sur le terrain, “la notion d’équipe pédagogique prend tout son sens.” Elle dit s’en être sortie grâce à d’autres professeurs qui lui ont passé des cours et à la solidarité qui règne en règle générale entre les collègues.
“Il faut que les enseignants aient le temps de devenir des enseignants”, indique Séverine Vuillaumiet, co-secrétaire départementale du SNUipp-FSU 1. Pour elle, le manque de formation explique les nombreuses démissions devant la réalité du terrain. En conséquence, les établissements se retrouvent avec des classes sans enseignants et sans remplaçants. Il n’y a pas que les contractuels qui abandonnent et au-delà du problème de démission, c’est celui de l’attractivité qui se pose. Catherine Bion, professeure d’Histoire Géographie, formatrice académique EAFC 2 et chargée de missions d’inspection, explique que c’est désormais un travail qui demande une charge de travail plus élevée : “Certains considèrent que tout ce qu’on doit faire s’éloigne du métier de base.” Elle fait référence à tous les dispositifs dont les enseignants doivent avoir connaissance et mettre en place comme les PAP3.
La perte d’attractivité s’explique par le manque de valorisation comparée au travail fourni. Les semaines des enseignants peuvent monter à 43 heures en prenant en compte la préparation des cours. Le salaire, qui est passé de 2.3 SMIC à seulement 1.2 en quelques années est au cœur des revendications. Certains enseignants doivent travailler dans plusieurs établissements et additionner les heures supplémentaires pour réussir à finir le mois. A la question du salaire, Séverine Vuillaumiet ajoute les agressions verbales, la déconsidération du métier et la forte mobilité. “Ça ne donne pas envie”, souligne-t-elle. Catherine Bion explique que la mobilité est “un frein pour les contractuels à passer le concours et à se titulariser”. En tant que contractuels, ils et elles peuvent rester dans leur région ce qui n’est plus le cas quand on vient de passer le CAPES.
Dans le cadre de cette revalorisation du métier d’enseignant, l’ex ministre de l’éducation Pap Ndiaye a présenté en juin dernier le Pacte enseignant qui propose à tout volontaire des missions rémunérées, payées 1250 euros brut par an. Le scepticisme est plutôt global quant à la mise en place de ce dispositif. Pour Catherine Bion, il s’agit de “voir comment ça va être mis en place, si ça devient de la surveillance c’est de l’argent public jeté par les fenêtres”. Elle ajoute que c’est une bonification énorme qui pourrait être faite autrement, en mettant par exemple un enseignant remplaçant par collège. Et d’après Séverine Vuillaumiet, ce sont “tout simplement des heures supplémentaires”. Elle a “peur de l’épuisement” pour ses collègues qui vont se rajouter des heures supplémentaires pour avoir un salaire décent, alors que leur emploi du temps est déjà chargé. Elle attend aussi de voir la mise en place concrète de ce dispositif. La question est maintenant de voir si le pacte va réussir à convaincre.
Lucile Jaray
1 (Syndicat national des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC)
2 (écoles académiques de formation continue)
3 (plan d’accompagnement personnalisé) définit les mesures pédagogiques qui permettent à l’élève de suivre les enseignements prévus au programme correspondant au cycle dans lequel il est scolarisé.
Pour pallier les manques de professeurs, l’académie de Nancy-Metz teste une brigade remplacement numérique. Les remplaçants ne se déplacent plus mais font cours en visioconférence quand les élèves sont surveillés par un assistant d’éducation. À défaut d’inscrire leurs enfants dans un établissement scolaire, les parents peuvent opter pour le Centre national d’enseignement à distance (CNED).
Créé en 1939, le CNED assure pour l’État français l’enseignement à distance. Mais selon la Cour des comptes seulement un quart des étudiants ont opté pour cette solution en 2020. C’est une formule bénéfique pour l’éducation nationale qui fait ainsi de nombreuses économies : pas de locaux à entretenir, pas d’assistant d’éducation, etc. De plus, le CNED ne compte que 273 enseignants de l’éducation nationale pour 42.000 élèves accompagnés chaque année soit un enseignant pour 154 élèves. C’est énorme par rapport au parcours classique qui compte environ un enseignant pour 13 élèves.
La formation proposée est donc assurée entièrement à distance avec des volumes horaires équivalents. Des cours en visioconférence sont assurés et les élèves sont tenus de rendre des devoirs à des dates clé. Mais la formule ne semble pas satisfaisante : seulement 30% des élèves inscrits au CNED obtiennent leur bac à lauréat contre plus de 90% des élèves en présentiel.
Les élèves qui suivent le cours via le CNED ne le font souvent pas par choix. Par exemple, beaucoup de jeunes sportifs de haut niveau font ce choix afin d’allier compétition et études. L’enseignement à distance ne semble donc pas séduire les élèves qui se retrouvent dépourvus du lien social offert par l’école. Parce que c’est aussi ça l’éducation : la découverte de la vie en société et la sociabilisation, mais cet enseignement ne fait pas partie de la liste de ceux proposés par la plateforme d’enseignement à distance.
Melvin Hermann
Images : Grégoire Lonck
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