De la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne d’Olympe de Gouges au mouvement #Metoo, la littérature féministe a accompagné les étapes d’émancipation des femmes. A Lille aujourd’hui, que ce soit au mythique Furet du Nord, à la Fnac ou à l’Affranchie, chaque librairie possède un rayon plus ou moins important et varié : l’occasion de faire l’état des lieux sur la visibilité et l’accessibilité de ce genre littéraire qui bouscule les genres.
Place Jeanne d’Arc, à La Lison, « on trouve de tout ». Pour une vendeuse : « Les ouvrages ne sont pas forcément connotés féministes mais regroupent des histoires qui nous plaisent et reflètent nos goûts. » Ici, place aux bandes dessinées sur des portraits de femmes, moyen de vulgariser certains sujets pour tous les âges. D’ailleurs, la demande évolue : « Certains parents cherchent des conseils, des ouvrages non-genrés pour leurs enfants. » Pourquoi pas une BD où l’héroïne arbore fièrement des poils sur les jambes ? La Lison est une « librairie féminine » qui mise sur les conseils et travaille en osmose avec « l’Affranchie non loin de là ». Et l’Affranchie, la voici : librairie spécialisée en féminisme, théâtre, art du spectacle… Lucie y travaille depuis un an et rappelle que « l’objectif est de mettre en avant des livres de petites maisons d’édition, difficilement commandables dans les grandes enseignes généralistes ». Mieux, on laisse place à des livres « en lesquels on croit pour une librairie plus égalitaire et humaine ». Un.e client.e est enjoué.e : « On retrouve beaucoup plus d’offres, de conseils personnalisés, on peut échanger, on sait que les personnes savent de quoi nous parlons ». Cette « safe place » lui permet de ne pas être mégenré.e* : « Le sujet du féminisme est de plus en plus répandu mais ça reste super cool de trouver toute cette littérature en un lieu précis. »
Des rencontres inspirantes
L’Affranchie enregistre un podcast et organise des rencontres avec des auteur.ices. Pour un nouvel épisode, la journaliste et écrivaine Sophie Carquain, accompagnée de l’actrice Suzanne Meslem, récite des poèmes extraits de son ouvrage Soutif mon amour. L’auditoire se laisse porter par la petite musique de fond. Harcèlement de rue, consentement… de nombreux sujets sont abordés avant un moment d’échange. Pour Sophie Carquain, la poésie est une « langue du militantisme [permettant] de taper du poing sur la table, transmettre des messages forts ». Intervenant dans des collèges, l’autrice apprécie ces moments où elle remarque que « garçons comme filles sont concentré.es […] parfois ému.es ». Accueillie dans des grandes librairies à Paris, Bourges ou Bayonne, elle enregistre aussi ses poèmes pour les diffuser sur les réseaux sociaux, dans des podcasts, afin de toucher le plus grand nombre.
Présentoir à la caisse de L’Affranchie en vue de la rencontre avec l’autrice Sophie Carquain. Crédit: Mathieu Feenin
Quel bilan pour les grandes librairies ?
Au Furet du Nord, rendez-vous au 6e étage pour découvrir un rayon étoffé. Une cliente souligne la diversité des offres : « On peut aussi trouver des ouvrages sur l’éco-féminisme. » Les rayons sont souvent mis en avant et agrandis, des rencontres sont parfois organisées au Garage. Du côté de la Fnac, on retrouve des classiques : Le Deuxième Sexe ou King-Kong Théorie mais une lectrice remarque : « Il y a une sélection mais on ne trouve pas de tout. » Les librairies participent-elles à rendre visibles ces ouvrages ? Sophie Carquain termine sur ces mots : « Depuis 2018-2019 […] même les grandes enseignes s’y mettent. Est-ce par opportunisme ou par engagement ? Peu importe après tout… Les grandes structures ont senti qu’il y avait une demande du public ! »
Pauline Dupont
* le mégenrage signifie : « Ne pas attribuer à quelqu’un le genre qui correspond à son identité de genre ». dictionnaire Le Robert
Zoom : Le féminisme en littérature, des débuts tardifs à l’engagement contemporain
Si le combat féministe se joue sur plusieurs terrains, il n’omet pas celui de la littérature. La vision féministe ne manque plus dans les librairies aujourd’hui. Toutefois, force est de constater que le chemin de la reconnaissance a été semé d’embuches, et ne date pas d’hier.
Si les femmes ont essayé de s’imposer dans le champ littéraire dès le Moyen-Age, rares sont celles qui parviennent à vivre de la littérature. La poésie amoureuse est le seul genre littéraire que le patriarcat leur concède, et Christine de Pizan est considérée comme la première femme de lettres à vivre de sa plume. Poétesse d’abord, elle élargira ses ambitions en publiant des traités sociaux, portant sur la réputation des femmes qu’elle juge compromise par les écrivains misogynes. Elle est l’un des éléments précurseurs du féminisme dans la littérature, et elle sera soutenue par de nombreuses autres écrivaines par la suite.
Virginia Wolf fait partie de celles qui ont repris le flambeau. Considérée comme une pionnière de la littérature féministe, elle écrit l’ouvrage de référence Une chambre à soi durant l’entre-deux-guerres (1929) dans lequel elle traite de la place des femmes dans la littérature.
Plus tard, la période d’après-guerre est caractérisée par l’essor de l’essai féministe grâce à de célèbres ouvrages, notamment Le deuxième sexe (1949). Déjà à l’époque, Simone de Beauvoir explorait des sujets toujours d’actualité : tels que la domination masculine ou l’avortement. Son livre fait scandale, l’avortement étant considéré comme un homicide avant la Loi Veil de 1975.
Si le féminisme a été, pendant longtemps, absent du paysage littéraire, il connait aujourd’hui un essor progressif. Nombreuses sont celles ayant contribué à son évolution. De nouvelles méthodes sont mise en place pour offrir plus d’espace à ces ouvrages : notamment les librairies féministes, à l’image des Affranchies, à Lille.
Claire Gaillard
